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Twisted Mist a sorti un second opus nommé 'Lacerare', deux ans après 'Orbios'. L'album explore plus profondément une facette du moyen-âge, en même temps que le groupe pousse plus loin son style. Le groupe a répondu à mes questions, concernant ce second album, l'évolution et d'autres sujets plus ou moins liés. Et une plongée dans une période sombre.
1- Bonjour à vous ! Comment allez-vous en ce froid mois de décembre ? Pouvez-vous commencer par un petit rappel de l’histoire de Twisted Mist ?
Bonjour à vous. Nous aimons particulièrement l’Hiver, le froid ne nous dérange pas !
Nous sommes un groupe de Metal français fondé en 2014 à Reims, nous sommes deux musiciens et compositeurs, Olivier et Nicolas.
Notre ambition est de fusionner un metal assez dur et primitif à des sonorités médiévales en y insufflant une signature. « Lacerare » est le second album réalisé en collaboration avec le label Music-Records, après « Orbios » en 2020.
2- Pouvez-vous resituer le concept, pour ceux qui vous découvriraient via cette interview ?
Nous mettons en avant dans nos compositions une collection d’instruments médiévaux, comme la vielle-à-roue, la bombarde, le bouzouki, la lyre ou encore la flûte en os diatonique pour obtenir un son authentique et artisanal. Nos albums sont des albums-concepts, avec une narration et des thèmes qui peuvent revenir.
3- On va se focaliser sur votre album ‘Lacerare’. Pouvez-vous nous donner le concept derrière celui-ci, avant de plus creuser ?
Il s’agit d’un album sur la grande Peste Noire qui a débuté en 1346. Plus nous avançons dans les titres, plus un sentiment de désespoir se fait ressentir. Lacerare est une version plus sombre et technique de Orbios, avec des sonorités metal plus présente, comme sur le morceau éponyme.
4- L’ambiance de celui-ci est plus sombre, avec un mélange de colère et de désespoir. Est-ce pour souligner l’atmosphère qu’il pouvait y avoir à la période de référence de l’album ?
Oui, mais c’est aussi une manière d’exorciser nos propres démons. La Peste Noire est une excuse pour composer de la musique metal à sonorités médiévales cathartiques.
5- On retrouve ce son qui vous caractérise, ainsi que cette approche, plutôt frontal du genre. Mais il y a aussi une évolution. On va commencer par l’aspect musique médiévale, qui est plus présent, tout en se confrontant aux passages nettement plus agressifs.
a) On retrouve toujours ces ambiances, néanmoins, le ratio folk / metal est différent. Est-ce important que l’aspect médiéval soit plus mis en avant ici ?
Il y a des parties beaucoup plus sombres et agressives. Nous avons composé ces parties médiévales afin d’équilibrer ce ratio folk/metal, même si cela n’était pas forcément notre objectif au premier abord… Cela nous a semblé être la bonne voie lors de la construction de l’album.
b) D’ailleurs, les différentes parties sont plus imbriquées ensembles. Est-ce pour pouvoir moduler l’approche et par extension, les différents sentiments qui sont exploités ?
Si vous nous posez la question, c’est que les transitions doivent paraître plus fluides, ce qui est une bonne nouvelle. Il y a quelque chose de moins naïf et de plus sophistiqué dans la structure des morceaux. Si nous devions comparer avec des paysages, « Orbios » serait une forêt fantasmée et paisible, mais teintée d’une légère mélancolie, tandis que « Lacerare » serait un village boueux où s’entassent les cadavres.
c) Il y a aussi la puissance que l’on retrouve dans les deux registres, bien que qu’elles soient de nature différente. Est-ce facile à mettre en place et cela a-t-il pour but de pouvoir faire ressortir les deux aspects antagonistes (que j’évoque plus loin) de la musique ?
Ce n’est pas forcément difficile, mais il y a en effet une synergie entre les parties médiévales et les riffs. Ils se nourrissent vraiment l’un et l’autre au lieu de seulement se suivre, du moins c’était notre but et nous restons humbles sur le résultat.
6- Vous ancrez la partie folk dans le médiéval, notamment dans la musique sacrée (offrant un contraste amplifiant la violence de la partie metal). Ici, vous allez plus loin, puisque il y a clairement un chant liturgique et des aspects purement religieux.
a) Est-ce pour ancrez là aussi le contexte dans la période de référence, afin de contextualiser l’ensemble de l’album ?
C’était en effet une illustration de cette période, et le fait que la religion ait pu être la béquille qui fût tendue à la population. Notre regard à ce sujet n’est pas très positif, nous n’avons pas réellement une grande affinité à l’égard des institutions religieuses… Mais le fait est que la musique médiévale, qu’elle soit profane ou liturgique, est quelque chose que nous étudions et aimons. Nous entretenons avec cette musique un rapport purement esthétique. Il faut rajouter que le « Kyrie Eleison » traditionnel est quelque chose que nous avons beaucoup écouté durant l’écriture de l’album, ainsi que divers chants qui peuvent être associés au Requiem.
b) L’aspect religieux est aussi mis en avant via des samples ou autre, pour créer cette ambiance particulière. Est-ce un moyen de faire ressentir la toute puissance religieuse de l’époque ?
Comme nous l’avons expliqué précédemment, c’est en effet un des objectifs de l’album. Cela tranche avec le côté « païen » d’Orbios.
c) Y-a-t-il aussi le besoin de mettre en avant le sacré afin de mieux faire ressortir le désarroi qui suinte ?
Oui, il y a également une manière de montrer qu’elle est impuissante face à ce drame …
7- Les deux aspects musicaux se confrontent, faisant le lien entre la colère, le désespoir et la résignation. Et pour cela, le chant est aussi marqué d’une évolution.
a) On a beaucoup plus de paroles en français. Est-ce pour faciliter l’immersion de l’auditeur dans l’album ?
C’était un besoin personnel. Cela nous paraissait plus intuitif de décrire ce que nous ressentions en français. Nous avons tout de même tenu à garder une trace du latin pour des raisons évidentes.
b) Là où c’est plus virulent, c’est que le chant se module (d’une part grâce aux deux voix) amenant cet antagonisme entre le sacré et le blasphème (le chant agressif étant nettement plus négatif). Est-ce afin d’induire le regard d’une personne confrontée à la peste, son impuissance face à la toute-puissance et aux mensonges de la religion de l’époque ?
Nous avions l’objectif de mettre en évidence ce face-à-face, ou plutôt cette dualité. Mais c’est avant tout un cri de douleur.
c) Du coup cette partie va recouper la musique et le chant : n’y aura-t-il pas quelque chose de plus fort encore derrière, au-delà de ce simple antagonisme ?
Nos compositions sont le fruit d’un moment, d’un état d’esprit. C’était une période où nous voulions mettre en avant ces confrontations, et réaliser une musique plus violente. Il y a quelque chose de thérapeutique, cathartique dedans. C’est un processus compliqué à expliquer.
8- Les titres renferment aussi cet antagonisme (Nuée noire, Kyrie Eleison, Le linceulé, Requiem…). Au-delà de ce simple antagonisme, il semble aussi qu’il y ait une progression dans l’album et une bascule.
a) Ai-je raison pour la progression, à la fois de la trame, de l’évolution des émotions et du glissement vers quelque chose de plus sombre ?
Oui vous avez parfaitement saisi l’album. Comme nous l’avons dit précédemment, il y a la volonté de peindre une descente aux enfers.
b) Kyrie Eleison semble être aussi un point de bascule, l’ensemble glissant progressivement à sa suite vers plus de noirceur. Est-ce pour signer le désespoir en même temps que la perte de confiance dans la religion (et peut-être glisser subtilement une critique de la religion, au-delà des époques) ?
La critique des institutions religieuses n’est pas forcément soulignée concrètement, ou marquée, mais le fait que vous l’ayez ressenti nous touche.
c) Requiem amène cette impression de tristesse mais aussi de blasphème du fait de son évolution, tout en rappelant le titre Aube sur sa fin, semblant signer une boucle. Est-ce le cas et faut-il y voir quelque chose de très symbolique, au-delà des codes mis en place ?
Le dernier titre, « Requiem », nous touche particulièrement. L’introduction avec la lyre et la flûte, ainsi que la modulation lors de l’outro, trahissent notre mélancolie au moment de l’écriture.
d) Ce titre est-il d’ailleurs une sorte d’apogée de la colère qui gronde et monte tout le long de l’album ?
L’apogée de la colère se fait au morceau éponyme. « Requiem » est plutôt mélancolique et désabusé.
9- Il y a deux titres qui se détachent : Complainte au firmament et Kyrie Eleison. Ces deux titres sont différents dans leur nature, l’un étant un chant purement profane alors que l’autre est un chant religieux.
a) Complainte au firmament est sûrement le titre le plus posé mais triste aussi. Et celui-ci a aussi un chant féminin. Que trouve-t-on derrière ce titre et pourquoi a-t-il ses sonorités différentes ?
Il a des sonorités différentes car c’est le morceau où les protagonistes veulent encore croire qu’il y a un espoir. Il y est exprimé la dureté de l’épreuve, mais également la volonté de vouloir la dépasser. C’est une prière, que nous voudrions voir s’exaucer.
b) Kyrie Eleison est donc une prière liturgique. Là aussi ça contraste fortement avec l’album mais il y a aussi son évolution qui vient briser le sacré par un blasphème. Là aussi, qu’est-ce qui est derrière ce titre et comment en êtes-vous venu à intégrer ce titre ?
Nous avons intégré ce morceau pour souligner la toute-puissance de l’Eglise, et pourtant son incapacité à résoudre l’épidémie.
10- Vous utilisez des instruments traditionnels, comme la vielle à roue ou la flûte en os diatonique. Pouvez-vous donner plus d’informations sur les instruments que vous utilisez et est-ce facile de les intégrer dans le cadre d’un concert (et dans ce cas, est-ce un peu comme fait Negura Bunget) ?
Intégrer ces instruments est notre objectif ultime depuis notre premier EP « Mortui vivos Docent ». Au départ, nous composions des mélodies avec les instruments traditionnels, puis nous y incorporions du metal par la suite, un peu comme l’a fait le groupe Arkan avec l’album « Salam », mais avec de la musique orientale. Maintenant, cela dépend. Concernant les concerts, nous nous y penchons sérieusement, mais c’est très compliqué d’un point de vue logistique.
11- L’aspect que je n’ai pas évoqué jusqu’à maintenant, c’est l’essence black de votre musique, qui se trouve du coup un peu plus diffus et qui s’avère du coup plus percutant.
a) Est-ce un choix réfléchi ou l’évolution est venue d’elle-même lors du processus de composition ?
Ce n’est pas un choix réfléchi. Dans nos influences, il y a des groupes de black metal (en particulier pour Olivier), comme Ulver, Dissection ou Gris. C’est donc logique que cela se retrouve dans notre musique.
b) Est-ce cet aspect qui donne la puissance et le côté sombre à l’album (ou il y a ça et les autres éléments) ?
Le côté sombre s’amplifie au fur et à mesure de l’album. Le premier morceau, « Aube », ne l’est pas. L’objectif est de présenter une situation initiale, une sorte de monde encore innocent avant l’horreur. Après, le côté sombre est servi par des riffs plus violents que sur « Orbios », des passages médiévaux au contraire plus lents et tristes.
12- Finalement, l’album ne parle-t-il pas de l’ambivalence de la religion et du profane, du refus de la religion par intervention d’un événement extérieur et par extension, un questionnement de la place du religieux dans la société (ou c’est une belle question mais non) ?
C’est une belle question. C’est un album qui parle de la fatalité, de nos ressentis face à certains évènements. On parle des hommes qui se retrouvent seuls au dernier instant, combien même ils auraient mis du temps et de l’espoir dans la religion.
13- Avez-vous un regard particulier et un avis sur cette période de l’histoire que vous explorez ou est-ce juste une fascination de celle-ci, avec une analyse des possibles réactions et interactions ?
Nous n’avons pas vraiment de fascination malsaine pour cette triste période. Nous ne voulons en aucun cas un retour en arrière. Mais notre curiosité nous pousse à vouloir en savoir plus sur le Moyen-âge et nous apprécions la musique traditionnelle. Mais, encore une fois, nous avons un rapport esthétique à ces œuvres.
14- Arrivez-vous à faire cette connexion avec les forces du passé ou est-ce toujours une lutte pour y arriver ?
Notre état d’esprit n’est pas forcément le même. On évolue, on change un peu… mais notre manière d’appréhender la musique traditionnelle n’a pas fondamentalement changé.
15- Il y a deux ans, je faisais un parallèle avec Negura Bunget. Alors, avez-vous eu l’occasion d’en écouter quelques titres ?
Oui et nous vous en remercions. Malheureusement, avec nos métiers respectifs, qui ne sont absolument pas alimentaires, mais de réelles vocations, et le temps que nous prend notre propre musique, nous n’avons pas suffisamment creusé et avons effleuré l’œuvre du groupe. Encore un groupe incroyable chez Prophecy Productions ! C’est vraiment un label que j’apprécie particulièrement, aimant les groupes aux sonorité black metal ou atmosphériques. Pour le coup, si nous prenons un album comme « ZI », nous pensons que le parallèle est pertinent avec « Orbios », mais moins avec « Lacerare ».
16- Si on vous en donnait la possibilité, feriez-vous la musique d’un film sur le thème du moyen-âge et garderiez-vous cette même approche ?
Nous ne savons pas si du folk metal servirait parfaitement un film sur le moyen-âge. Si nous avons à faire à un film sombre et épuré, quelque chose qui ressemblerait plus ou moins à du Béla Tarr ou au film de Alexei Guerman (Il est difficile d’être un Dieu), nous ferions quelque chose d’encore plus sombre mais peut être plus lent, quelque chose de plus atmosphérique, avec des drones à la vielle à roue.
17- Comment a évolué la reconnaissance de Twisted Mist depuis Orbios ? Cela vous ouvre-t-il des portes sur des festivals aussi bien musicaux que plus axés sur le médiéval ?
Il y a eu des propositions et nous en sommes heureux. Malheureusement, il y a toujours le même problème logistique… nous nous préparons et espérons, le label Music-Records et nous-mêmes, des concerts d’ici fin 2023, le temps de répéter et de composer un nouvel opus.
18- Merci d’avoir pris le temps de répondre à ces quelques questions. Je vous laisse clôturer l’interview comme vous le souhaitez !
Un grand merci pour l’intérêt que vous nous portez, et nous vous félicitons pour votre analyse de notre dernier album, qui nous a impressionné. Nous sommes de nouveau en train d’écrire et de composer. Nous espérons que la suite vous plaira et vous serez tenu au courant pour les premiers concerts !