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Suite au contact de LUGOSi qui a engendré la chronique de leur album (que vous trouverez aisément), j'ai proposé au groupe de faire dans la continuité avec l'interview qui suit, histoire d'aborder un peu plus de choses et de détailler un peu plus leur album 'Inconsolable'. Les réponses suivent donc cette intro quelconque.
Photo par ELLE Dud Visuals (https://www.facebook.com/ELLEDudPhoto)

1- Bonjour à vous ! Comment allez-vous en cette fin d’année ? On va commencer tranquillement, avec l’histoire de Lugosi et une blague.

Adrian : A part nos angoisses existentielles, la peur d’une catastrophe écologique, de la montée du fascisme et d’un krach économique, ça va ! On reste des jeunes mâles privilégiés, ça aide.

C’est l’histoire de trois mecs qui se rencontrent pendant des soirées blind-tests à Paris, et paf ! ça fait LUGOSi.

En fait on est 5, le groupe s’est formé entre 2014 et fin 2015, on a sorti un premier EP en 2016 puis un deuxième en 2019, et notre premier LP est sorti en novembre 2022.



2- Une question me taraude, concernant votre nom. Pourquoi Lugosi ? Est-ce un clin d’œil à l’acteur Béla Lugosi et du coup, si oui, quel lien)?

Adrian : Premièrement parce que ça sonne bien et c’est facile à retenir, puis c’est effectivement un clin d'œil à Béla Lugosi oui. Au tout début du projet, on était que deux guitaristes, et on imaginait orienter le projet vers quelque chose d’un peu baroque, ce qui n’a jamais été le cas finalement. Mais on a gardé le nom.

Pieriv: On aurait dû s’y attendre, mais on s’est rendu compte qu’il y avait pas mal de groupes qui portaient déjà ce nom. Du coup on a stylisé le truc en LUGOSi, avec le i minuscule qui vient rappeler une allumette, qui est un peu notre symbole officieux. On est créatifs dans l’adversité.

3- Votre approche musicale mêle punk, hardcore et sludge. Comment vous est venu cette approche ? Découle-t-elle de vos passés personnels ?

Pieriv : Oui, je pense que, de façon assez évidente, notre "son" vient d'une combinaison de nos influences personnelles. Pour ma part je n'avais jamais entendu le terme "sludge" avant de rejoindre le groupe, je ne connais rien à tout ça. Je viens du punk, les autres gars ont un background bien plus metal, chacun avec ses spécificités, alors il a fallu trouver un terrain d'entente.

Adrian : LUGOSi c’est le mélange d’influences des 5 personnes qui composent le groupe, on y trouve de tout : punk, rock, hardcore et métal bien sûr, mais aussi pleins d’autres artistes d’horizons très variés.

Lucas : il y a quelques groupes qui forment un bloc d’influences communes tout de même, comme Gojira, Converge, ou Refused. Puis chacun apporte sa petite touche d’influence plus perso. De mon côté par exemple, je vais chercher un peu d’influence chez blink-182 dont le batteur a toujours été un modèle. Pour d’autres ce sera davantage dans le noise ou des groupes plus portés sur l’aspect technique de la musique.

4- Vous avez aussi une approche qui privilégie une forme assez chaotique. Est-ce là pour faire sens avec les aspects émotionnels que sont la colère et la mélancolie qui suintent de votre musique ?


Pieriv : On ne réfléchit pas vraiment à ça, je pense surtout qu'on aime l'idée d'être surprenants, de ne pas filer tout droit. Mais ce n'est pas non plus une formule, c'est juste plus marrant comme ça. Et puis je suppose que ça permet aussi aux gars de ne pas trop se faire chier en concert, haha. Mais c'est vrai que quelque part il y a peut-être une illustration inconsciente de notre ressenti. J'utilise souvent le terme "accidenté" pour parler de notre musique : attention, regarde où tu fous les pieds, tu vas te casser la gueule.


Adrian : On essaie juste de composer de la musique qui nous plaît. C’est parfois très simple, et parfois un peu plus complexe : on ne sait jamais à l’avance quelle direction prendra un morceau.

5- Ce que j’ai aussi apprécier dans votre album, c’est cette notion d’esthétisme et de poésie qui peut se dégager de certains titres. Vous ne privilégiez pas nécessairement le bourrin pour le bourrin.

a) Est-ce un moyen d’amener un peu de répit et de pouvoir ainsi concentrer de manière plus efficace le côté brut ?

Adrian : Merci à toi. On aime simplement varier les plaisirs, au gré de nos humeurs et de nos envies lorsqu’on compose.

Pieriv: Une fois de plus je ne pense pas que ce soit conscient, c'est seulement à notre image: on n'est pas des violents, et on ne fait pas cette musique pour être violents. Ce qui nous intéresse c'est l'émotion, et pour moi ça passe par ça : la violence n'est justifiée que par l'accalmie. Rien n'est gratuit.

b) Avez-vous intégré dès le début cette notion ou est-ce plus sur ‘Inconsolable’ que vous ouvrez cette voie ?

Pieriv: Je crois qu'on a toujours fait une musique "tempérée". Le mot pourrait faire sourire quand on nous entend, mais dès le début il y a eu cette envie de ne pas faire une musique "que" violente, très maîtrisée. Et il faut bien avoir en tête que les chansons n'ont pas été écrites dans l'idée d'en faire un album, on a juste eu de la chance que le tout soit cohérent.

Lucas : Dès nos premières compos je pense qu’on a assez vite ressenti que nos forces reposaient dans les passages qui construisent quelque chose petit à petit, faisant grandir l’expression de la colère ou de la tristesse jusqu’à l’explosion, plutôt que dans des riffs ultra efficaces et “dans ta gueule” mis bout à bout. Ça arrive qu’on prenne cette voie là mais c’est plus rare.

c) Cette notion d’esthétisme passe beaucoup par un sens de la mélodie qui appuie la mélancolie. Est-ce parce que la période est triste ou est-ce plus sérieusement une part nécessaire à la façon de vous exprimer ?

Pieriv: "Nécessaire" n'est peut-être pas le mot. Je dirais plutôt "naturel". Je pense sincèrement qu'on ne sait faire que ce genre de musique. À la lecture des paroles, ça ne devrait pas surprendre grand monde d'apprendre que je suis dépressif. Et oui, la période n'aide évidemment pas. Tout le monde en chie. On parle de ce qu'on connaît, et ce qu'on connaît ne prête pas exactement à la joie de vivre.


Lucas : Une des choses qui caractérise le système dans lequel nous vivons, et ce qui peut aujourd’hui nous désespérer, c’est qu’il nous pousse dans l’inaction, dans l’incapacité à agir, à faire changer les choses. Faire la musique qu’on fait c’est un peu un moyen d’aller à l’encontre de ça.

d) Cet esthétisme se retrouve-t-il dans les visuels et implique-t-il quelques symboliques ?


Pieriv: La pochette de l'album me plaît parce que, je pense, elle illustre bien notre musique: sale et beau à la fois, un chaos apparent qui dessine quelque chose, quelques touches de couleur dans le morne.


Adrian : On ne cherche pas à créer de symboles ou à s’en inspirer. Concernant la pochette, on a eu un gros coup de cœur en tombant sur le travail du peintre Jérôme Royer, qui a bien voulu peindre la cover de l’album.
Il s’avère qu’en plus d’être extrêmement talentueux, c’est quelqu’un d’absolument adorable : jetez un coup d’oeil à son instagram : https://www.instagram.com/jeroy94


6- Ce qui est intéressant, c’est que vous n’hésitez pas à casser les codes, repoussant les limites du punk hardcore, puisque vous injecter quelques passages évoquant la powerviolence. Est-ce une volonté de vouloir sortir de votre zone de confort, en même temps qu’une envie de radicaliser votre musique ?


Pieriv : Non, il n'y a pas de calcul derrière tout ça, ça collait bien avec le reste je pense. La violence sert le propos. Mais on ne cherche pas à se radicaliser, c'est plutôt qu'on ne s'interdit rien.


Adrian : Encore une fois, on n’intellectualise pas notre démarche, on ne réfléchit pas aux codes ou à ce qui s’est fait avant nous : on fait simplement ce qu’on a envie de faire.

7- Quels sont les thèmes que vous abordez et sont-ils liés à une sorte d’engagement ou plus un simple constat, une analyse directe ?


Pieriv : Comme je le disais plus haut, j'écris sur ce que je connais : le monde d'aujourd'hui et sa violence, d'une part, et mon ressenti d'autre part. J'ai une écriture très personnelle, et à l'exception de Blame It On The Weak et Falling Man, quand je dis "je" dans mes paroles, c'est bien de moi que je parle. Et ça tombe bien parce que j'ai des choses à dire. En fait on s'est rendus compte que l'album abordait principalement 2 thèmes : la révolte et la dépression. Et par un heureux hasard, les chansons de révolte se retrouvent principalement sur la face A du vinyle, alors que la face B est consacrée à la dépression.


8- Trouve-t-on des éléments plus personnels dans vos titres, dévoilant peut-être une part de vous-même ?


Pieriv : Oui, totalement. I Wish ou Maskenfreiheit sont des visites guidées de ma psyché. J'y dis des choses très dures, très violentes.

9- Je ne peux faire l’impasse sur le titre ‘I wish’. C’est clairement celui qui a la charge émotionnelle la plus puissante et ayant cette notion cinématographique avec le thème rappelant 28 jours plus tard.

a) Qu’est-ce qui se cache derrière ce titre ?


Pieriv: Oui, elle est dure cette chanson. C'est ma préférée de l'album, la plus personnelle, et celle qui semble le plus marquer les gens en concert. J'y parle de ma dépression, de luttes, de la tentation de baisser les bras. C’est étrange, j’ai du mal à parler de cette chanson. Je pense avoir tout mis dans les paroles.


Lucas : Etrangement, au début, on pensait faire un morceau très brut, très court, très direct. C’est finalement un des morceaux les plus longs de l’album, parce qu’on s’est laissé entraîner dans une montée en puissance sur toute la fin de la chanson. On a senti en composant qu’on avait quelque chose d’intense à exprimer, et que ça passerait par une fin plus épique que ce qu’on avait en tête.

b) La tonalité différente de celui-ci sert-il de transition entre deux parties d’albums, dans la manière d’aborder les thèmes ou est-ce totalement aléatoire ?


Pieriv: Le diptyque “inconsolable/I Wish” peut être perçu comme un pont vers la deuxième partie de l'album oui, même si ce n'est pas ce qu'on avait en tête en l'écrivant. Disons donc que c'est un savant mélange d'aléatoire et de calcul.

10- Quelles sont vos influences, au sein de votre musique ?

Adrian : C’est extrêmement large. Je pense qu’on pourrait tourner la question à l’envers, en se demandant qu’est ce qui ne nous influence pas !
On a l’habitude de citer Refused, Converge et The Dillinger Escape Plan comme premier socle d’influence commun à nous cinq. Mais on pourrait aussi dire ça de Radiohead, John Williams ou le Wu-Tang Clan.

11- Une question plus vicieuse : comment concevez-vous la musique ?

Adrian : Il y a une forme d’évidence dans la musique que je ne retrouve pas ailleurs. Comme si c’était la forme d’expression la plus épurée, celle qui retranscrit au mieux toutes les nuances de notre ressenti.

Lucas : La musique, quand elle est faite avec les tripes, c’est quelque chose de très communicatif, voire d’universel. Tu trouveras toujours quelque chose qui résonnera en toi, même si ce n’est pas ton style de prédilection. Et pour nous, faire notre style de musique, c’est faire ressortir ce qu’on enfouit trop souvent par pudeur, politesse ou bienséance. C’est faire s’exprimer la partie de nous qui a besoin d’hurler de temps à autre (souvent), mais qui n’a pas d’autre espace d’expression que celui-ci.

12- Suivez-vous une méthode particulière pour composer ?

Adrian : On compose tous ensemble, et c’est un processus qui s’est construit naturellement au fil des répétitions. On ne sait jamais comment ça va se passer.
Souvent quelqu’un arrive en répète avec une idée, un riff, ou juste une sorte d’envie ou d’humeur particulière, et ça inspire les autres. Certains morceaux se construisent laborieusement, d’autres s’écrivent presque tout seul. Dans tous les cas, il faut du temps, des échanges, et beaucoup d’écoute avant d’en terminer un.

13- Avez-vous un leader dans le groupe ou non, du tout, vous êtes tous égaux (mais lui quand même a le dernier mot, hein, faut pas déconner) ?


Pieriv : Étrangement non, je ne crois pas. On fonctionne comme une famille, ou comme une équipe, chacun a son rôle. Que des numéros 0 dans ma team. Après, forcément, en tant que chanteur les gens risquent de me percevoir comme leader, ce qui me gêne beaucoup. Porte-parole peut-être, mais leader jamais, on ne peut pas être plus loin de la réalité.


Adrian : Pieriv endosse le rôle de frontman en live effectivement. On s’écoute beaucoup en fait. On prend le temps de discuter de chaque chose ensemble pour s’assurer que ça plaise à tout le monde, que ce soit pour la composition, la communication, l’organisation … Tout le monde est moteur dans le groupe.

14- On va aborder la thématique personnelle. Parce que derrière les groupes, avant tout, il y a des humains.

a) Que faites-vous en marge du groupe et est-ce que cela se lie à votre musique ?

Pieriv: Je fais un travail sans aucun lien avec la musique. Rien de passionnant, mais on me donne de l'argent pour le faire. J'ai beaucoup souffert dans le monde du travail, mais c'est ce qui me permet de faire de la musique à côté, c'est une bonne contrepartie.

Adrian : J’ai été DJ dans un bar parisien pendant quelques années, à l’époque où je travaillais la nuit. Depuis, aucun lien entre mon job et ma musique.

Lucas : je travaille dans un grand groupe du CAC40, à la communication dans une entreprise de Télécoms. J’y suis entouré de gens cool et c’est ce qui permet de tenir. Aucun lien avec la musique donc !


b) Est-ce simple de concilier vos métiers / travails avec vos vies personnelles et le groupe ?


Pieriv : On répète tous les lundis soirs, donc ça va. Je n'ai pas de vie personnelle, ça aide…


Adrian : Ce n’est pas toujours simple, ça dépend des périodes. Pour l’instant, on arrive toujours à s’arranger, et j’espère qu’on pourra continuer comme ça.


Lucas : on a un rythme qui nous permet de bien concilier tout ça, mais ce sera sans doute moins évident lorsqu’on se lancera dans les tournées et autres joyeusetés du genre !

15- Vous habitez sur Paris.

a) Comment voyez-vous la vie de côté de la France (je parle des aspects sociaux, sociétaux et économiques) et est-ce peut-être une des sources de votre colère ?

Pieriv: Je pense que c'est la même merde partout, Paris n'est pas une exception. Les manifs sont peut-être juste plus tendues, mais à part ça on galère comme tout le monde.

Adrian : Difficile à dire. On a parfois l’impression de vivre dans une bulle parisienne, et c’est probablement le cas sociologiquement. Maintenant, je ne sais pas s’il existe beaucoup d'écart entre Paris et le reste de la France. Les fractures socio-économiques se creusent partout, ça fait des années que l’Oxfam alerte sur les inégalités qui s’aggravent en France. Et ça nous met effectivement en colère.

b) Quel est votre regard sur la scène locale et entretenez-vous des liens avec des scènes plus larges ?


Pieriv : On a quelques affinités avec certains groupes, oui. Pas vraiment des groupes de hardcore d'ailleurs, ce qui complique la situation pour organiser des dates.


Adrian : On fait attention à ne pas jouer avec des groupes qui ont des liens avec l’extrême droite, de près ou de loin, et on évite de s'associer aux groupes qui cultivent une image macho, masculiniste, ou toxique de façon générale.

16- L’environnement parisien est-il aussi un vecteur (entre le métro quotidien, la densité humaine dans certains quartiers, la misère…) ?


Pieriv : Je ne pense pas. Je suis né et j'ai grandi à Montfermeil, dans le 93, et j'ai bougé à Paris à 20 ans. Cet environnement, c'est le mien depuis toujours, c’est ce que j’ai toujours connu, alors c’est difficile pour moi d’analyser. Bon, c’est clair que c’est compliqué quand ton loyer est plus élevé qu’un SMIC, mais il y a d’autres problématiques ailleurs. Forcément quand je vois les baraques que peuvent se payer des membres de ma famille en province, pour un loyer moins élevé que ce que je paie pour 20 m² à Paris, ça me fout la chiale. Mais il y a d’autres problèmes, d’autres souffrances. On est en 2022, on va pas se voiler la face, tout le monde en chie de toute façon.


Adrian : C’est dur d’avoir du recul, on a tous grandi en région parisienne, ça nous a forcément influencé de vivre dans la capitale d’un des pays les plus riches du monde, d’avoir accès à tout, tout le temps. Il y a un bouillonnement culturel à Paris qui est agréable à vivre, tu peux aller voir n’importe quel style de concert à n’importe quel jour de la semaine quasiment. Mais comme tu dis, c’est peut-être ici aussi que le contraste entre la misère et la richesse est le plus saisissant. Ça cultive certainement un sentiment d’impuissance, d’absurdité.


Lucas : En ce qui concerne notre groupe aussi, être à Paris c’est une chance car la scène y est très vivante, les opportunités nombreuses… Mais ça implique aussi de devoir se “battre” davantage pour espérer être visible. Il y a beaucoup de groupes, ça crée forcément une sorte de compétition involontaire pour l’attention du public (qui a le choix entre entre les nombreux groupes underground et les artistes plus connus qui viennent se produire).

17- Quel est votre regard du coup sur ça et avez-vous une implication dans un domaine particulier (associatif, culturel…) et porte-t-elle un poids au sein de la musique ?


Pieriv : Je ne suis pas officiellement engagé dans une quelconque association. J'essaie d'être présent en manifs, en soirées de soutien, j'essaie de prendre part, j’ai fait une émission sur Radio Libertaire avec des copain.e.s, mais je dois bien le reconnaître, j'aimerais en faire plus. Toutefois, je pense que tout ce qu'on fait a une portée politique. L'expression la plus pure de mon militantisme, c'est la musique. Le refus de la fatalité, le refus de céder au cynisme et à la violence, la fragilité comme une fierté, la douceur comme absolu, c'est éminemment politique.


Adrian : On peut collaborer avec certaines associations oui, comme Hardcore Cares par exemple : https://hardcorecares-france.com/
Disons qu’on partage tous une sensibilité politique commune, avec des engagements propres à chacun. Même si ça constitue à part de l’identité du groupe, LUGOSi reste un projet artistique, et n’a pas vocation à devenir autre chose.

18- Que pensent vos proches de la musique que vous jouez et adhèrent-ils plus ou moins ?


Pieriv : Ma mère déteste m'entendre, ça lui fait mal à la gorge. Mon père est venu nous voir et m'a dit ce truc qui m'a fait très plaisir : "J'y connais rien à votre musique, et je peux pas vraiment dire que j'aime, mais quand c'est vous qui la faites, je comprends."

L'un de mes frères est graphiste et nous aide pour le design des T-shirts et d'autres trucs, il n'est pas rare que des membres de ma famille viennent nous voir en concert.


Adrian : On a la chance d’être soutenus par nos proches, même si notre style n’est pas vraiment le style de prédilection de nos familles.


Lucas : La phrase préférée de ma mère quand elle écoute notre musique c’est “ça fait du bien quand ça s’arrête”. Après, on a des amis qui sont plus ouverts à ce style musical et leurs retours sont supers, leur soutien nous touche énormément.

19- Quels sont vos goûts en matière de cinéma, littérature et musique ? Etes-vous ouverts à des choses très différentes ? Avez-vous une sensibilité à certaines formes artistiques autre que la musique ?


Pieriv : On pourrait consacrer une interview entière à ce sujet. J'ai une autre grande passion, le cinéma. Il y a un sample d'un de mes films préférés, Les Yeux Sans Visage, sur l'album. Mes réalisateurs préférés sont John Carpenter et Steven Spielberg, comme n'importe quel couillon né à la fin des années 80 je suppose. Musicalement, je viens du punk. Avant de rejoindre LUGOSi, je n'écoutais pas de metal, et encore aujourd'hui c'est rare. J'écoute presque exclusivement de la soul, du vieux ska, du punk/hardcore, de la britpop. Et j'écoute pas mal de chanson française et de rap, aussi. Mais globalement on est des gros geeks hein, quand on ne parle pas de musique on parle de ciné, de jeux vidéo, de bouquins. Pour la littérature, il y a un livre qui m’a particulièrement touché et inspiré sur cet album, c’est Slaughterhouse-Five de Kurt Vonnegut. Ça m'a complètement retourné. Au premier abord c’est un truc un peu zarbi de voyage dans le temps, d’extra-terrestres et de Guerre Mondiale, mais en vérité ça parle de bonté, d’acceptation, de l’absurde. C’est à la fois super beau et hilarant. C’est presque un conte philosophique.

Adrian : Ça parle beaucoup cinéma, humoristes et jeux vidéos en répète oui. Un peu de littérature aussi, mais moins.

20- Vous sentez-vous plus punk ou plus proche du hardcore (en thème d’état d’esprit et peut-être de point de vue) et cela influence-t-il votre approche thématique ?


Pieriv : Définitivement punk. Je ne me sens pas du tout proche du hardcore moderne, avec cette attitude de tough guy qui bande les muscles. La scène punk a pris un sacré coup dans l'aile ces derniers temps, avec l'article de Mediapart qui a libéré la parole de façon nécessaire. Mais les valeurs théoriques du punk, de la scène que je connais, même si elles ont été bafouées par un certain nombre, resteront toujours constitutives de ce que je suis.


Adrian : Au-delà de nos influences, il n’y a pas vraiment d’attache ou d’identification à un genre ou à une scène. On cultive un état d’esprit DIY et revendicateur dans LUGOSi, parce qu’on se sent plus libre et à l’aise comme ça. C’est un crédo qu’on retrouve beaucoup dans le milieu “underground” de façon générale j’ai l’impression, au-delà des styles et des tendances.

21- On va évoquer les groupes qui vous sont viscéralement liés, intimement (en bien ou en négatif).

a) Quels groupes (ou artistes) placez-vous au-dessus de tous ?


Pieriv: The Clash. Ce n'est pas pour rien qu'on l'appelle "le seul groupe qui compte". Ce groupe à lui tout seul a changé ma vie. Plus tard il y a aussi eu Refused, mais leur esthétique, leur philosophie découlent directement du Clash: pas de barrières musicales, faire passer son message à travers les chansons, mêler intimement ses convictions à sa musique.


Adrian : Y’en a trop, mais j’ai envie de citer ces artistes-là : Julie Christmas (mention spéciale à l’album avec Cult of Luna), Fiona Apple, Anna Aaron, GGGOLDDD, Lingua Ignota, Pogo Car Crash Control et The Armed.


Lucas : Avant j’étais du genre à ne jurer que par une poignée de groupes mais aujourd’hui, ça change en fonction des saisons. Gojira, blink-182 et Biffy Clyro reviennent souvent dans le top, mais je vais avoir des périodes obsessionnelles sur d’autres, comme Birds in Row en ce moment.


b) Quel groupe ne comprenez-vous pas du tout, ni l’intérêt massif qui lui est porté ?

Pieriv: Il y a tant de groupes qui me posent problème, mais malheureusement je comprends l'attrait de chacun d'eux, ou au moins je vois clair dans leur plan marketing. Je passe.

Adrian : Je n’ai aucun mal à concevoir que les autres aiment quelque chose que je n’aime pas.
En revanche, aucune complaisance vis-à-vis d’artistes qui ont des comportements violents ou des accointances d’extrême-droite. L’impunité qui stagne sur ces questions-là ne peut pas continuer.

Lucas : j’ai jamais compris l’engouement pour Ghost. Vraiment ça me passe complètement au-dessus de la tête et c’est dommage, j’ai l’impression de louper quelque chose de grandiose. Mais rien n'y fait, j’accroche pas.


c) Existe-t-il un groupe que vous déconseilleriez particulièrement ?


Pieriv : On vient de sortir notre premier album et tu veux déjà nous attirer des emmerdes ? Je te vois venir hein ! Bon OK, de toute façon iels se séparent alors je m'en cogne, disons que Shaka Ponk, vraiment, je peux pas. Et il y a une mégachiée d'autres groupes que je méprise, pour les meilleures raisons du monde, mais c'est mort, je parlerai pas. Pas tout de suite en tout cas…


Adrian : Je déconseille tous ceux qui se la jouent viril ou gros bras. C’est une posture que je trouve dangereuse. Il est grand temps de s’éloigner de ces carcans toxiques.


Pieriv : Voilà, tous ces groupes, et il y en a beaucoup dans "notre" scène, qui cultivent cette attitude violente et virile merdique. Je ne veux rien avoir à faire avec eux. On n'est pas un groupe de beatdown, je refuse de me dire que des gens qui font l'effort de venir nous voir en concert risquent de se faire péter la gueule par des gars venus pour un autre groupe.

22- Comme on est en fin d’année, quel bilan (c’est à la mode d’en faire il paraît) tirez-vous de 2022 ?


Pieriv : Des souffrances immenses. Mais j'ai sorti un album, et j'en rêvais depuis mes 13 ans.


Adrian : On s’en souviendra comme l’année de notre 1er album.


Lucas : un premier album, un premier enfant, une année bien chargée comme on en fait peu !

23- Quels sont vos projets pour 2023 ?


Pieriv : Tourner partout. Changer le monde. Danser sur les cendres de l'oppression. Mais en vrai si on peut juste jouer ailleurs qu'en région parisienne, toucher 2 ou 3 personnes et ne pas perdre trop d’argent ce sera déjà cool.

24- Quelle est l’œuvre la plus étrange que vous connaissez et conseilleriez de découvrir (quel que soit le domaine) et pourquoi ?


Pieriv : Un classique, l'album Meet The Residents, des Residents. J'y reviens une fois tous les 3 ans, j'y comprends rien mais c'est génial. Et puis au cinéma, Bellflower d’Evan Glodell. C’est une histoire de rupture amoureuse et de lance-flammes. C’est la première fois que je suis sorti du cinéma en me disant "Euh, c'était QUOI ça ?".


Adrian : Regardez la série Legion par Noah Hawley.
Lisez la pièce Cendrillon de Joël Pommerat.
Si vous l’avez loupé cette année, regardez Everything Everywhere All At Once de Dan Kwan & Daniel Scheinert.
Sinon, regardez Inside de Bo Burnham, puis voyez ou re-voyez La leçon de Piano de Jane Campion et American Beauty de Sam Mendes.
Et après, lisez Abattoir n°5 de Kurt Vonnegut.


Lucas : je plussoie pour Everything Everywhere All At Once & Inside ; j’ajoute un groupe british qui fait une musique incroyable de poésie et de profondeur nommé Delta Sleep. Et il est dans les top de tout le monde en cette fin d’année mais Gris Klein de Birds in Row.

25- Merci à vous d’avoir répondu à cette liste de questions. C’est à vous de conclure, comme vous le souhaitez !


Merci à vous qui lirez cette longue interview et prendrez la peine de nous écouter sur Bandcamp ou les plateformes de streaming. On sait que votre attention est précieuse (en plus d’être constamment sollicitée) et ces quelques minutes que vous nous accordez nous touchent, on espère que ce que vous découvrirez vous plaira.

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