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Extegiña est un groupe franco-espagnol, qui a sorti en 2021 un Ep nommé 'Herederos del Silencio', offrant un black mélancolique tout en étant épique, dans un sous-genre du black, le Red Anarchist Black Metal, courant dont j'ignorais l'existence. Au-delà de cette production, j'ai voulu explorer un peu plus le sujet et qui va apporter pas mal d'informations intéressantes et brosser un univers bien dense et riche. En bonus, des noms de groupes pour en découvrir plus, sur le RABM.

1- Bonjour à vous ! J’espère que ça va de votre côté. Commençons de manière simple : contez nous l’histoire de Etxegiña.

Salut ! Merci de m’accorder cette interview. Par ici ça va, on continue d’écrire encore et encore avec l’objectif de sortir un disque par an pour ce projet !

Etxegiña est un groupe de Black Metal épique et mélodique fondé en 2019 avec, à ce moment-là, une grande partie du line-up actuel d’Acedia Mundi, formation de Black Metal aux sonorités dissonantes et urbaines dans lequel je suis bassiste depuis 2015. C’était une vraie course contre la montre puisque j’ai commencé le booking de deux dates avant d’avoir enregistré mes morceaux et même d’avoir terminé d’écrire certaines paroles, haha.

L’idée de base n’était pas forcément de former un projet mêlant musique et politique. Toutefois, suite à la lecture des œuvres du journaliste Eduardo de Guzmán, donner à Etxegiña des fondations historiques et politiques s’est imposé comme une évidence. J’ai donc très vite choisi de creuser la thématique de la Guerre Civile Espagnole. D’ailleurs, si le projet n’était pas porteur de certaines idées politiques il aurait un autre nom.

Aujourd’hui la formation de l’époque n’existe plus mais nous sommes tous en bons termes. Mon ancien batteur Angus a été ingé son sur Herederos del Silencio et Titouan avec qui j’ai écrit ce disque se consacre à son groupe Epectase. Pour l’instant le projet reste « confiné » au studio. Il est possible que certains postes changent selon les besoins des disques à enregistrer et que des surprises apparaissent d’ici quelques mois !

2- La grande question que tout le monde se pose : quelle est la signification du nom Etxegiña ?

Etxegiña, aussi écrit Etxegina ou encore Etxeguina est un mot basque qui signifie « constructeur », ou plutôt « constructeur de maisons » pour être précis. En accord avec ma démarche politique je voulais un mot dont le sens dénote avec les habituelles injonctions au chaos et la destruction propres au Black Metal.

Pour te donner un peu plus de contexte, Etxegiña c’était le surnom de mon arrière-grand-père Ciriaco Urigüen. Il était maître armurier et a lutté contre les forces fascistes de Franco. Pour cela il a été arrêté et a connu les camps de torture. C’est pour honorer ses convictions et le combat de centaines de milliers de personnes que j’ai choisi ce nom. Pour construire avec ce passé boueux plein de souffrance.

3- Vous évoluez dans le red anarchist black metal, courant (ou mouvement ?) dont je n’avais point la moindre idée de l’existence. Pouvez-vous nous expliquer ce que c’est exactement (bien que les thèmes développés donnent déjà une idée) ?

Le RABM est effectivement un élan politique d’extrême gauche lié au sous-genre du Black Metal et qui pourrait être représenté par des groupes comme Feminazgûl ou Dawn Ray’d, pour citer des noms que certains seraient susceptibles de reconnaître. Historiquement on peut trouver des groupes de Black Metal politisés à gauche dès 1993 avec le groupe argentin Profecium et leur album Socialismo Satánico. Comme grande référence des amateurs du genre, dans les années 2000 il y avait Sorgsvart avec l’album Vikingtid og Anarki. Néanmoins la véritable croissance du mouvement est relativement récente. On a vu une réelle explosion de groupes se revendiquer de l’étiquette RABM.

Comme toute étiquette politique elle peut désigner une grande variété de choses et d’obédiences idéologiques. Ce n’est pas un bloc uni de pensée. Au nombre des points communs on retrouve bien évidemment une aversion profonde pour le NSBM, la complaisance des artistes, labels et organisateurs de concerts avec des acteurs et figures d’extrême droite ; il y a aussi, pour une grande partie de la scène, la valorisation d’artistes LGBTQIA+. Un autre fil rouge entre de nombreux groupes de RABM c’est l’organisation de collectes de fonds ou d’actions concrètes. A titre personnel on l’a fait en été 2020 pour aider la Défense Collective de Toulouse, une organisation qui aidait les manifestants incarcérés ; on a organisé une autre action du genre plus récemment et fait un don à l’association Solidarité Migrants Wilson qui distribue des repas, des tentes et des couvertures aux réfugiés sur Paris.

Certains te diraient qu’une des revendications du RABM serait de s’opposer au fait de tout laisser passer aux artistes sous couvert de talent musical. Beaucoup de fanatiques de RABM cesseront de soutenir un groupe si son leader est un agresseur sexuel par exemple. Le mouvement n’en reste pas pour autant parfait. La question des violences sexistes et sexuelles, par exemple, reste une problématique d’actualité dans tous les mouvements de gauche. Il reste encore des militants qui pensent que le féminisme intersectionnel détourne les gens de la lutte des classes !

4- Vous développez un coté assez mélancolique, en plus d’un côté épique. Est-ce juste venu comme ça ou est-ce plus profond, lié aussi bien au courant qu’aux thématiques développées ?

Je suis content que tu soulignes cette ambivalence. C’est quelque chose de totalement voulu et c’est un des constats que j’apprécie qu’on mentionne. Bien que les sujets abordés par l’EP soient graves et propices à la mélancolie mon propos n’a jamais été de créer une musique qui soit trop accablante à la manière d’un disque de DSBM. Cette dualité entre dimensions combatives et tragiques reflète un esprit d’époque. Il faut imaginer les élans de bravoure du peuple Espagnol et des forces antifascistes qui s’organisent et luttent contre une armée de métier, avec son lot de victoires, de défaites et surtout de pertes humaines. La bravoure et la faim.

5- Le titre de votre Ep est un peu mystérieux aussi (pour moi, ne pipant pas un mot d’espagnol). Pouvez-vous révéler des secrets (ou plutôt de quoi parle cet Ep) ?

En français le titre de l’EP serait Héritiers du Silence. C’est à la fois un hommage au documentaire de Almudena Carracedo et Robert Bahar Le Silence des Autres qui souligne le caractère contemporain de la Guerre Civile espagnole en parlant notamment de la loi d’amnistie de 1977. C’est aussi un hommage à ma grand-mère qui, quand je lui posais des questions sur son enfance et le vécu de son père pendant la Guerre Civile puis la dictature de Franco, me dit : « tu sais, nous avons grandi dans des maisons de silence ». La thématique du silence, de la honte et de l’humiliation suite à la défaite des forces antifascistes face à la rébellion militaire de Franco est au cœur du projet.

6- Et d’ailleurs, puisque l’on en parle, quelles sont les thématiques que vous abordez (ou souhaitez aborder) ?

Herederos del Silencio aborde différentes thématiques et événements de la Guerre Civile Espagnole. Contrairement à ce que l’on pourrait penser l’organisation de la tracklist n’est pas chronologique. J’ai préféré suivre une logique musicale à ce niveau plutôt que de ranger les morceaux selon la date des événements qu’ils mentionnent. Pour ceux que ça intéresserait rangés par ordre thématique et chronologique on aurait la tracklist suivante :
1. La Montaña
2. El Roble que Brota Indemne
3. Los Cadaveres Insepultos de Albatera
4. Nosotros los Etxegiña

Nosotros los Etxegiña est une sorte d’introduction aux thématiques abordées par le groupe : c’est un titre bourré de références au Pays-Basque, à des organisations politiques de l’époque (la CNT, le mouvement Mujeres Libres, etc.), au sort tragique des militants antifascistes. Il y est question du silence comme punition imposée par la dictature aussi.

El Roble que Brota Indemne, littéralement « l’arbre qui croît indemne » parle des bombardements de Guernica sous le prisme du chêne sacré de la ville. Guernica est une sorte de berceau sacré au Pays-Basque. Depuis le XIVe siècle on y cultive un chêne où prêtaient serments les seigneurs Basques et les monarques de Castille. Chaque fois qu’un chêne décède, il est remplacé par une de ses boutures. Chacun de ses nouveaux chênes porte un nom : l’Arbre Père, l’Arbre Vieux, l’Arbre Fils. C’est l’Arbre Fils, planté en 1892, qui a survécu aux bombes explosives et incendiaires qui ont ravagé Guernica. Ce morceau prend le chêne de Guernica comme témoin du massacre des basques et comme protecteur de leur mémoire.

La Montaña, dont on devine la traduction en français, n’est pas, comme on pourrait le croire, une ode à la nature et aux paysages de montagne. C’était le nom d’une caserne militaire de Madrid. Il faut comprendre qu’en 1936, lors du soulèvement militaire de Franco la question de l’allégeance des différents corps militaires pose un véritable problème. Qui restera loyal à la Seconde République ? C’est dans cette crainte, et sans le soutien du gouvernement que des milliers de citoyens, avec l’aide de quelques membres de l’artillerie madrilène ont installé un siège autour de cette caserne afin d’éviter que la ville ne tombe sous les mains des rebelles. La prise de la Montaña a été un véritable carnage car le peuple était mal armé. Les organisations antifascistes qui avaient pu se procurer quelques armes les avaient distribuées. Le témoignage de Guzmán à ce sujet est terrifiant. Il raconte comment, chaque fois qu’un citoyen armé tombe sous le feu des militaires, un autre s’empresse de prendre son arme pour continuer le combat. La caserne sera finalement prise au prix de nombreuses vies.

Enfin, Los Cadaveres Insepultos de Albatera fait référence au camp de concentration d’Albatera, réputé pour être un Auschwitz espagnol. C’est un fait peu connu qu’il y eu 293 camps de concentration sous Franco. Albatera fut d’ailleurs visité par un certain Rudolf Hess, haut dignitaire nazi. Albatera était un ancien camp de travail de la République où étaient emprisonné 1059 individus. C’est alors une petite infrastructure. Les forces fascistes y parqueront entre 12.000 et 30.000 prisonniers, dormant à même la terre pour la plupart. C’est un endroit sans accès à l’eau potable et où l’on est nourri que fort peu et tous les deux jours. De nombreuses maladies s’y propagent, et à cela s’ajoute les rouages de coups, les exécutions sommaires et les sermons de l’Eglise. Le camp fut fermé en 1939 car les conditions sanitaires y étaient trop catastrophiques.

7- Etxegiña est franco-espagnol (corrigez-moi si je me trompe…) et du coup, vous avez fait le choix de la langue de Cervantes.
a) Est-ce pour se démarquer un peu des autres groupes, tout en cultivant un lien avec le courant musical ?

Il est vrai que le castillant n’est pas la langue la plus utilisée dans le Black Metal et je trouve que c’est fort dommage qu’il ne soit pas plus exploité. C’est une langue qui « chante » beaucoup et qui se parle souvent fort. En tout cas, dans le nord de l’Espagne on a la réputation de parler de manière moins suave et plus brute qu’en Amérique centrale et du Sud, par exemple. Ce choix s’est imposé de lui-même au vu des thématiques abordées. De plus, la majeure partie de ma bibliographie est en espagnol et je préférais m’éviter la gymnastique mentale de retraduire la plupart des idées et informations de mes lectures, bien que cela m’oblige à le faire en interview ! Cela me permet également de faire des références stylistiques aux auteurs et historiens que j’ai lus. Et puis, pour le public, ça a une saveur différente j’imagine.

b) Est-ce un moyen plus facile de s’exprimer et d’utiliser l’espagnol permet de faire passer des subtilités plus délicates qu’avec l’anglais ou le français ?

Je ne sais pas si c’est plus facile. Je suis et français et espagnol. Si je maîtrise ces deux langues j’ai néanmoins fait mon éducation en France et écrire en castillant était forcément plus difficile au début. Ça l’est d’autant plus quand on traite de faits historiques et qu’on veut éviter de trop romancer certains événements. L’usage de l’anglais aurait peut-être facilité la propagation du message. Je pense tout de même que cela aurait appauvri mon propos. Et puis… pourquoi utiliser d’autres langues que celles du pays où j’ai mes racines pour parler de son Histoire ?

8- Derrière le groupe, avez-vous un concept que vous allez développer, lié à l’histoire ou resterez-vous plutôt sur quelque chose de moins pointu ?

Rester sur quelque chose d’aussi précis est épuisant, c’est une évidence. La nuance qui sera apportée à coup sûr c’est que je ne me cantonnerai pas aux événements qui se sont déroulés entre 1936 et 1939. Tout d’abord parce que de nombreux historiens contestent ces dates. Franco lui-même a déclaré, à la fin des années 1940 si ma mémoire est bonne, que l’Espagne était en guerre depuis plus de 10 ans. Il y a toute une résistance de maquis et de guérilleros qui s’est mise en place.

Ensuite il faut comprendre que l’Espagne est un des rares pays d’Europe où le fascisme a non seulement gagné mais aussi reçu le soutien des démocraties occidentales. Le gouvernement américain appréciait beaucoup la dimension anti-communiste de Franco. Ce dernier n’est d’ailleurs décédé qu’en 1975. Je ne peux pas traiter de ce conflit et ignorer la dictature qui s’en est suivi. C’est un sujet qui a créé trop de cicatrices dans la société espagnole pour le traiter à moitié.

Maintenant que j’ai dit cela, j’envisage tout de même de faire des disques instrumentaux. Car je ne peux pas me permettre d’avoir à lire 15 livres par sortie ! Encore moins alors que je ne suis pas étudiant en Histoire Contemporaine – ce qui ne m’a pas empêché d’être en contact proche d’historiens lors de l’écriture du disque. Pour garder un rythme de sorties fréquent, ce serait assez dur ! Il y a néanmoins des thématiques sur lesquelles j’ai commencé à me renseigner, comme l’exil des antifascistes espagnols par exemple.

9- L’artwork est assez fort, au niveau du graphisme. Que cache donc l’illustration et quelle période évoque-t-elle ?

Cette illustration faite par le graphiste et tatoueur allemand Hagiophobic, réputé dans le milieu RABM, est inspirée d’un ensemble de statues espagnoles situées au mirador de la memoria. La figure sur la pochette est une reproduction d’une de ces statues qui représentent les espagnols qui ont souffert lors de la Guerre Civile. Peu après leur inauguration un sympathisant d’extrême droite est allé tirer dessus avec un fusil. L’artiste a refusé de réparer son œuvre, la considérant d’autant plus juste désormais. Cette pochette évoque beaucoup de tristesse. Cette figure avachie regarde une ville brûler au loin. A sa droite, on y voit un chêne, encore jeune, qui pousse.

Il n’y a pas qu’une période évoquée. Il y a le vacarme de la guerre et le silence de la défaite. Le bruit sourd des affrontements et l’Histoire qui se tait, muselée. Cette figure, c’est l’individu qui voit son foyer détruit, qui voit ses efforts réduits à néant ; c’est aussi l’individu qui hérite de tout ce bagage et qui regarde le passé avec un regard confus et le sang qui bout.

10- Comme vous êtes un groupe avec des points d’attaches, est-ce facile pour travailler ensemble ou je n’ai pas la moindre idée des possibilités de la technologie ?

On me pose souvent la question mais j’ai toujours habité à Paris. Mes attaches familiales et mes deux nationalités font d’Etxegiña un projet international. Du moins à mes yeux. Mais nous n’avons pas de problèmes pour travailler, bien que la formation qui a enregistré Herederos del Silencio n’ait jamais été au complet dans la même pièce ! Je pense qu’on a une façon assez peu commune de travailler. Je n’avais jamais répété avec Prosper avant d’enregistrer la batterie et on a fait les arrangements sur le coup au Nidstang Studio. C’était un sacré challenge car on devait faire ça en deux jours avec, à ce moment, les contraintes du couvre-feu de 18h00 !

11- Que faites-vous en marge du groupe, comme activités professionnelles (ou études) ?

Prosper et moi sommes tous deux étudiants à l’American School of Modern Music, à Paris. On travaille beaucoup de Jazz, du coup. C’est d’ailleurs là qu’on s’est rencontrés et que je lui ai proposé de faire la batterie sur Herederos del Silencio. D’ici un an nous serons tous deux musiciens à temps plein.

12- Etxegiña représente-t-il une part de vous, plus qu’un simple groupe ?

C’est beaucoup plus qu’un groupe, c’est certain. C’est tellement ancré dans une Histoire révoltante qui se trouve être une histoire familiale que la moitié d’un pays peut comprendre… Si tu savais le nombre de fois que j’ai reçu des messages disant « moi mon grand-père a été fusillé par les fascistes », ou « ma famille a beaucoup souffert pendant la dictature parce qu’on était fils de rouges ». Ça rend les choses assez concrètes… Etxegiña c’est un projet qui aborde des sujets difficiles et qui veut raviver une mémoire qu’on s’acharne à mettre de côté.

13- Avez-vous une part d’engagement, socialement parlant (voir du militantisme), du fait du courant dans lequel vous évoluer et si oui, est-ce un moyen de nourrir l’entité musicale ou celle-ci est-elle la continuité de l’engagement ? Ou non, pas du tout, la question est sympa mais j’ai perdu ?

A l’heure actuelle je ne suis membre d’aucune organisation politique. Je respecte les gens qui s’organisent mais je n’ai que très peu de temps à moi, que je consacre entièrement à mes divers projets musicaux et à mes études.

Comme je l’ai mentionné précédemment j’ai à cœur de mener des actions concrètes. On l’a fait à deux reprises en reversant de l’argent de nos ventes, par exemple. On a aussi été sur plusieurs compilations qui récoltaient des fonds. L’un dans l’autre on a dû participer à la collecte de plusieurs milliers d’euro.

Je trouve ta question intéressante car elle me permet de souligner le processus d’écriture. Jusqu’à maintenant je n’ai jamais écrit de paroles avant la musique. Le choix des thématiques abordées est très important mais c’est dur pour moi, une fois que j’ai écrit un morceau, de choisir quel message lui faire porter.

La question de l’engagement qui nourrit l’entité musicale est pertinente dans le sens où ce qui se passe dans mon entourage me donne envie de parler de thématiques contemporaines. Ou, du moins, de pointer du doigt à quel point certaines problématiques ne sont pas si récentes qu’on veut bien le croire. Je pense à toutes les questions de sexisme déjà très présentes dans les mouvements antifascistes des années 1930. L’un et l’autre se nourrissent mutuellement au final. L’entité est une raison de faire des recherches militantes et ma déconstruction / mes lectures nourrissent mon message et mes idées.

14- Derrière celui-ci, quelles sont les influences d’où il puise sa nature ?

Mes lectures étant principalement liées aux thématiques abordées dans Etxegiña je ne suis pas un érudit de la pensée anarchiste ou communiste. J’ai beaucoup apprécié lire Kropotkin même s’il est difficile de trouver des éditions décentes de quelques-unes de ses œuvres, contenant par exemple des indications permettant de contextualiser certaines affirmations ou développer quelques idées. Pour s’y mettre je recommande Aux Jeunes Gens. C’est court, concis, ça va droit au but. La morale anarchiste est une bonne introduction également. Ce que je retiens chez Kropotkin c’est surtout l’idée qu’on a mal interprété la théorie de Darwin. Je ne suis pas un expert mais de ce que j’ai retenu, Kropotkin souligne que l’idée que l’évolution ne se fait que par l’annihilation des faibles par les forts ou du moins par la survie des forts est erronée. Il affirme au contraire que la vie n’existe que par la rencontre de cellules ; selon lui, l’évolution se fait par le biais de l’entraide et non pas la compétition. C’est très fort de lire des idées pareilles quand on évolue dans une scène qui adore brandir l’image – ô combien romantique – des loups qui dévorent les moutons.

C’est sans doute un grand cliché mais une auteure qui m’a bluffé est Virginie Despentes. En l’espace de quelques mois j’ai dévoré la majeure partie de sa bibliographie. Et au-delà de ses romans King Kong Theory est une grande référence de littérature féministe. En incontournable il y a évidemment la militante Angela Davis dont j’ai débuté la lecture de Femmes, race et classe, également reconnue pour son engagement anticarcéral. Le livre et le podcast Les Couilles sur la table de Victoire Tuaillon est également une lecture fort recommandée. Pour ceux qui s’intéressent à la littérature féministe du début du XXe siècle il y a l’ouvrage Libertarias, femmes anarchistes espagnoles, qui parle notamment du mouvement Mujeres Libres. Question éditions engagées, en France on a la chance d’avoir Libertalia qui produisent des ouvrages très intéressant, parfois en lien avec la pop culture.


Quand on s’intéresse à des ouvrages politiques on tombe souvent dans un gouffre sans fin. Avec ce sentiment parfois d’en savoir un peu moins plus tu en sais. Je reste assez bluffé de voir que les notions de solidarité ne sont pas toujours acquises et qu’en même temps elles font très peur à l’Etat. L’idée même qu’il soit répréhensible d’aider ceux qui ont besoin d’aide me sidère. On l’a bien vu avec les forces de l’ordre qui empêchent l’accès à des points de distribution de nourriture pour migrants et démunis. On ne va pas y aller par quatre chemins : ça donne la gerbe.

15- Au-delà du groupe, quels sont vos goûts musicaux ? Ecoutez-vous des groupes ou artistes loin du metal ?

J’irais même jusqu’à dire qu’en ce moment je n’écoute presque pas de Metal ! Quand tu veux faire de la musique ton gagne-pain tu dois être très ouvert d’esprit. En ce moment je travaille sur un disque de Jazz Oriental avec un violoniste tunisien. Je bosse des morceaux de Gnawa (musique marocaine), pas mal de standards de jazz, du hip-hop, de la funk… J’aime beaucoup le post-punk, aussi. Je suis friand de trucs plus « classiques », tu peux me voir écouter du Maurice Ravel comme du Joni Mitchell. Ne pas être le premier musicien de la famille aide, on ne va pas se mentir.

16- Comment vos proches perçoivent-ils votre musique, du fait de son côté purement musical mais aussi de l’implication du fait du style ?

C’est une question qui est assez pertinente dans le sens où les sujets abordés sont assez tabous et que cela aurait pu causer de la friction au sein de ma famille. Mais ayant une tante historienne et aux convictions très à gauche je pense que l’intérêt pour ces événements était déjà bien présent avant que je m’y colle. Et ce n’est pas comme si je traitais de ces sujets en ayant une ascendance franquiste et royaliste ! Du coup je n’ai eu aucun problème à ce niveau. Au sein de la scène je sais que certaines personnes me trouvaient sans doute plus sympa quand j’étais moins radical. Y’a forcément des gens que t’as moins envie de fréquenter, aussi. Mais bon, ce n’est pas un grand scoop que les gens changent.

17- Etxegiña représente-t-il le plus important pour vous ou avez-vous aussi d’autres domaines qui vous intéressent et sont-ils éventuellement du coup proche de vos idées ?

La musique en général est le domaine qui m’intéresse le plus. Et c’est assez rigolo quand tu parles de ce qui se passe dans la scène Metal à des gens qui n’en font pas partie de voir leurs réactions. Ce n’est déjà pas joyeux quand tu vois les différences de rémunération. Alors quand tu évoques des questions politiques, t’imagines pas la gueule des gens ! Après, en dehors d’Etxegiña je n’ai pas spécialement de projets ouvertement politisés. Néanmoins, je ne vais pas jouer avec des gens diamétralement opposés à mes idées non plus. Ce qu’il y a de rafraîchissant en sortant de la scène Metal c’est aussi de trouver une plus grande variété et diversité au niveau des musicien.ne.s avec qui tu bosses. C’est moins uniformisé en termes de profils. Quand tu vois des concerts de Hardcore avec des gens antiracistes où tout le monde est blanc ça donne quand même l’impression que les gens se rassurent sur leur comportement au quotidien. Bosser en toute harmonie avec des gens qui viennent du monde entier ça reste une aventure inestimable.

18- En y pensant, Etxegiña, serait-il pas le prisme d’une façon de vivre, en plus d’être un chaudron d’idées ?

Exactement. Etxegiña c’est comme le Bitcoin, c’est un lifestyle ! Je n’irais pas jusqu’à parler de « façon de vivre » au sens qu’on l’entend beaucoup dans le coaching et tout le mouvement New Age mais il est évident que c’est une aventure qui a un impact conséquent sur ma vie et ma façon de voir les choses. C’est déjà le résultat d’un déclic politique, donc forcément, ça a beaucoup changé ma perception du monde et donc mon existence.

19- Quels sont vos projets à venir ?

Eh bien déjà je suis impatient de sortir l’édition vinyle de Herederos del Silencio à travers True Cult Records (Grèce). Ce sera mon premier disque qui sort en 33 tours et ça, on ne va pas se le cacher, ça fait quand même plaisir. Ensuite, je travaille sur 3 autres disques pour Etxegiña, dont un que je devrais enregistrer – si tout va bien – courant mai. Du coup, à peu près un an après la sortie de Herederos del Silencio il y aura une nouvelle galette, sans doute d’une durée similaire. Mais il se peut que ce disque révèle de nombreuses surprises stylistiques ! Le line-up changera un peu pour l’occasion avec l’arrivée ponctuelle d’un autre musicien de Jazz. Parce que tant qu’à faire, autant faire jouer le réseau. On reste un groupe de Black Metal à la base alors on va jouer qu’avec nos potes. La seule différence c’est que nos potes ne seront pas de la scène.

Sinon je devrais bientôt sortir mon deuxième disque de Dungeon Synth avec mon projet Touza Senra. J’ai un disque plus « pop » qui est presque prêt, j’enregistre un album de Jazz Oriental en mai et d’ici cet été voir la fin de l’année je serais sur le deuxième disque d’Acedia Mundi.

20- Merci à vous d’avoir pris le temps de répondre à mes quelques questions. Je vous laisse le bonheur de la conclusion !

Merci à toi pour ton intérêt, pour cette interview conséquente et pour ta patience – car il m’a fallu du temps pour répondre à chacune de ces questions ! Je n’ai pas grand-chose à rajouter si ce n’est d’inciter les gens à prêter une oreille à ce qui se fait dans la scène RABM. Il y a effectivement à boire et à manger mais on y retrouve aussi d’excellents groupes tels que Ashenspire, Toul en Ihuern, Tyrannus, Mystras, Déception, Spectral Lore, Grat Strigoi, Pessimista, A///Plague, Lerna, Tumultuous Ruin, Allsiah, Eyn… J’en passe et des meilleur.es !

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