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Sans titre

Grégaire

Cold Dark Matter Records

11 mai 2023 à 13:49:37

Dématérialisé

2022

5 titres. Durée: 28'41''

Une petite vidéo:

Grégaire est un quatuor normand nous donnant cette offrande qui ne porte pas de nom (sortie en novembre 2022, je suis un poil en retard) à l'exception du nom du groupe. C'est un premier jet qui va donner dans quelque chose de presque instrumental, ayant très peu de vocaux enfermés dans la musique.

C'est assez particulier comme approche. Le groupe pousse le concept musical assez loin, mêlant post metal, post hardcore, doom et sludge. Et là, en lisant, tu comprends que ça va être lourd, pesant, avec un travail sur les structures et les rythmiques. Et c'est exactement ça que le groupe propose, offrant une base qui se repose sur des atmosphères lourdes, étouffantes mais qui, étonnamment, proposent des moments plus aériens, amenant une transcendance que l'on n'attend pas du tout. C'est très étonnant et c'est quelque chose qui fait bien plaisir, d'offrir une voie que l'on attend pas.
La base atmosphérique est intéressante car le groupe va proposer des choses qui vont aussi bien nous emmener dans des ambiances semblant venir de film post apocalyptique mais évoquant aussi des approches de groupes instrumentaux, comme Dragunov (sur certain plan, notamment dans le jeu des rythmiques, on retrouve quelques points convergents). Cela installe discrètement une sorte de leitmotiv qui va revenir dans les titres, de façon pernicieuse et jouant sur la trame du doom et du sludge. Cela induit un contraste intéressant avec les saillies plus virulentes qui parfois explosent, illuminant l'obscurité (ah oui, c'est assez sombre musicalement, ça porte une étrange mélancolie) d'éclats d'énergie brute.

Et cette énergie ne vient pas d'ailleurs que de l'aspect post metal et post hardcore (en plus d'amener certaines structures et des jeux de rythmiques), proposant quelques incursions dans des instants plus agressifs où la lourdeur se confond alors avec la fulgurance, offrant une étrange modulation, comme une onde sonore altérée se répercutant sur un lac figé (oui, il y a de la poésie aujourd'hui, comme pour la musique de Grégaire). Mais l'un des aspects les plus étonnant de cette énergie, c'est qu'elle peut venir d'un thème répétitif ou d'une redondance assumée dont la lancinante répétitivité vient parfois être pulvérisé par des effets de guitares ou par la basse qui devient plus puissante, plus massive. Et induit un changement plus subtil du paradigme que pose le groupe. Et qui glisse vers une voie où la mélancolie, le côté cinématographique de certains accents et la norme qu'a posé avant le groupe sont altérées mais sans en renier la nature profonde. Oui, dit comme ça, ça peut faire mal à la tête. Mais mine de rien, c'est assez cérébrale la musique de Grégaire. Et qui offre un paradoxe en opposant une musique sombre et assez solitaire au sens du mot.

Les rythmiques reposent essentiellement sur la lourdeur et la pesanteur du doom et du sludge qui se fondent l'un dans l'autre, brouillant les limites, nous ouvrant un univers sur un brouillard stylistique assumé, qui s'avère efficace. Le groupe offre à la fois une répétitivité dans les rythmiques en même temps que de la variations, jouant avec les tempos et les mécanismes liées (ralentissement sur quelques mesures, altérations...) et amenant des dissonances ici et là, mais toujours liées à la nature de la musique.
Le gros des rythmiques ose vraiment la lenteur, la batterie proposant une gamme de patterns reposant sur les toms et la caisse claire (peut-être deux, seul le groupe détient la vérité). Ca amène une grande variété qui est aussi un contraste par rapport à cette notion de répétitivité, en même temps que le groupe distille une notion plus floue dans l'évolution des rythmiques, offrant ici un aspect qui est un pur jeu avec les règles des styles. Ce qui peut amener un certain chaos, une destructuration inattendue modulant la notion de poésie sombre que distille le groupe, au long des 5 titres.
Et sur trois titres, le groupe prend le temps de poser un univers plus concret, inscrivant dans la durée une illusion onirique, s'appuyant sur des mécaniques certes simples mais auxquelles il fallait penser. Et cette volonté de mouvoir la musique, à la fois sur les lourdeurs et les fulgurances, qui parfois se frôlent et plus rarement s'entremêlent, créant une étrange trame à l'efficacité dévastatrice.

Il n'y a pas de vocaux de présent, à l'exception de quelques paroles qui sont proches à la fois d'un discours introspectif et d'un monologue venant d'un film, créant vraiment ce sentiment étrange que Grégaire nous emmène à la lisière de plusieurs univers afin d'engendrer son propre univers. Et d'induire dans le même temps une dimension intemporelle, où les rares vocaux se mêlent à la musique et cette mélancolie lancinante, créant une entité qui nous sort de la dimension temporelle. C'est assez fou et ça fonctionne terriblement bien, recoupant l'atmosphère générale.
D'ailleurs, les vocaux sont plutôt remplacés par des sonorités et un travail sur la textures des sons, passant par une distorsion des sons, comme si Grégaire voulait jouer avec la réalité, pour la faire coller à la trame de leur musique, à sa nature même. C'est loin d'être anecdotique car cela implique que le groupe a une vision plus large de sa musique et de l'entité qu'il crée.

Le son est excellent. Tous les instruments sont présents, incluant la basse qui offre une modulation dans sa sonorité et son usage. Le son appuie la trame onirique mais aussi le côté sombre, la puissance explosant sur les passages plus offensifs. Le groupe prête attention aux détails, de manière à garder l'immersion réussie du début à la fin, nous enveloppant dans la musique et dans sa nature.

Grégaire est une excellente découverte, puisant une musique originale et accrocheuse dans des styles qui, à priori, ont peu de lien entre eux mais le groupe réussi le pari, qui plus est avec quelque chose de presque instrumental. Respect.

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