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Oddity

Nature Morte

Frozen Records

22 octobre 2023 à 08:36:41

CD

2023

7 titres pour 44'37''

Une petite vidéo:

Nature Morte est un groupe parisien sous forme de trio formé en 2015, naviguant à la lisière du black et du post-metal, ayant à son actif deux albums (NM1 en 2018, Messe basse en 2021) et un split avec Hegemon (rien que ça...) en 2020 (Safari Inn). Et les voici de retour avec un troisième album.

Nature Morte est un groupe dont le nom me parlait mais dont je n'avais pas pu mettre de musique dessus. Bon, ben ça y est, on y est quoi! Je ne savais pas du coup ce que ça donne, comment est le son et l'artwork n'aide pas vraiment ici, en léger décalage avec la base.
Et bien rapidement, le trio te mets dans le grand bain, présentant avec 'Bruises & lace' ce qui va t'attendre plus ou moins sur l'album (bien qu'il y ait de sacrés revirements qui t'attendent mais ça, le groupe ne le dit pas). Deux aspects marquent la musique: un très mélodique, aérien presque onirique et le second, en contraste complet avec un black plutôt bourrin, qui se teinte d'un relent post-metal. Mais bien évidemment, NM ne fait rien comme tout le monde et dès ce premier titre, tu sens qu'il y a des écarts d'étiquettes qui s'avèrent bienvenus et plutôt redoutable.
Ce qui amène des phases très différentes et même des espaces où se côtoient des improbabilités qui s'avère croustillantes, honnêtement. C'est vraiment de ce que l'on ne s'attend pas et c'est exactement ce que j'apprécie: être pris au dépourvu, avec des éléments différents mais diablement cohérent dans l'évolution ou la structuration musicale d'un groupe. Et le groupe joue sur ce point, en s'appuyant sur des titres pouvant être assez long, le permettant de développé une approche singulière où se mêlent, s'entrechoquent et se pulvérisent les codes, pour mieux les assimiler sous une forme nouvelle.

Pour cela, le trio nous emmène parfois loin, jouant avec les structures, les rythmiques ou les tempos, posant des modulations, des altérations (musique, tonalité) et des itérations (apportant un étrange sentiment collant à l'ambiance qui s'exprime), afin de pouvoir engendrer de la surprise mais servant aussi de puissant contraste avec le reste. C'est d'ailleurs parfois une imbrication de contrastes qui vont arriver à exprimer une teinte vraiment singulière, que l'on va avoir sur l'album. Et toujours avec cette surprise qui est omniprésente alors que pourtant, depuis le début, la base est identifiée. Ca renforce à chaque instant l'intérêt que développe le groupe, nous emmenant parfois très loin des repères qui, pourtant, sont d'autres repères. Une sorte de melting-pot improbable, voir impossible et qui, pourtant, fonctionne complètement.
Le trio joue beaucoup sur les breaks et les ralentissements / accélérations en quelques mesures, obliquant soudainement vers autre chose. Et cela induit une particularité qui s'exhale et se développe.

Le groupe offre une approche mélodique, qui amène un aspect à la fois cinématographique (certains passages ont une puissance émotionnelle qui serait parfaite dans un (bon) film sur grand écran) et onirique. C'est un aspect qui est présent dès le début de l'album, n'hésitant pas à ce mêler aux phases les plus brutales, livrant des niveaux d'écoutes différents, selon ce que l'on veut entendre (et qui implique du coup plusieurs écoutes). Et cet aspect mélodique n'est pas nécessairement là pour calmer le jeu, le groupe l'utilisant de différentes manières, s'amusant à brouiller les pistes afin de bien marquer ses nouveaux repères qu'il nous pose.
Le trio dévoile quelque chose qui n'en est que plus humain, livrant une des multiples facettes de ce qui fait l'humanité et peut-être même l'univers ou le sens de toute chose. Est-ce que ça a un aspect philosophique? C'est bien possible car la musique semble tendre vers une réflexion allégorique (mais n'ayant point les textes, je ne sais pas si eux s'y rapporte aussi, ouvrant plusieurs niveaux de compréhensions. Sur que je n'en suis pas loin).
Il y a beaucoup de finesse et de subtilités par ce biais, le rattachant à une volonté d'offrir quelque chose de plus élevé, de très aérien. C'est d'ailleurs cet aspect qui est mis en valeur avec un titre, qui se détache de l'ensemble, marquant un côté étonnamment poétique: 'Here comes the rain'. Ce titre évoque même quelque chose qui se rapproche en partie de la synthwave et d'influences venant des années 80. Notamment dans les sonorités. Ce titre est à la fois en décalage, plus posé et pourtant en continuité logique du reste de l'album car ayant pourtant en lui des germes black.

Ce qui me permet de glisser à l'aspect black du groupe, un peu plus en détail. C'est aussi complexe comme approche ici car le NM utilise plusieurs systèmes d'incorporation et d'exécution du genre. Le plus évident est celui qui est le plus brutal, très direct, amenant un clivage et un contraste volontaire sur l'aspect mélodique. Il développe une face plus sombre qui met en lumière les aspects mélodiques et lumineux des parties plus aériennes.
Il va développer une puissance à la fois malsaine et brute, avec des tempos très rapide, ayant dans son ADN quelque chose entre un raw black, du black brutal et une variation plus indus. Cela enrichi les phases black de manière redoutable et donne de l'épaisseur, ne nous laissant pas vraiment de temps de réflexion ou de pouvoir tout assimiler en une fois. C'est brute, massif, pour mieux nous surcharger d'émotions et d'informations, pour offrir un contraste avec le reste. Et aussi nous rappeler que le trio fait un peu comme il veut, pour notre plus grand plaisir. Mais ce serait si facile de ne faire que de cette manière. Alors le groupe, un trio de petits malins, va plus loin et sort complètement du cadre, là encore pour bien me faire plaisir.

Et oui, le trio va bien plus loin. Si le black s'avère déjà omniprésent, même dans des aspects plus posés ou aériens, celui-ci va jusqu'à développer des teintes regardant aussi bien vers l'atmosphérique que l'ambient, en se posant dans des moments plus singuliers, jouant du contraste au moments où des contrastes sont volontairement présents. Et d'offrir un autre moyen d'effacer nos repères au profit des leurs, tout en œuvrant à distiller subtilement une ligne discrète tout le long de l'album. Et si le black ne se dévoile pas de manière grandiloquente, il est plus en sous-marin, par des sonorités, des changements imperceptibles ou plus dans l'ambiance, de manière diffuse.
Mais il y a aussi un aspect venant du post-metal qui s'y met, apportant ses codes que le groupe va fusionner avec le black, sans pourtant faire du post-black. C'est bien plus complexe ce qu'il en fait, laissant cet aspect se diffuser et infuser dans l'ensemble, ne laissant transparaître des éléments que quelques fois, liant ici la subtilité à celle des passages plus tranquilles. Et qui renvoie encore à cette idée de contraste mais aussi d'onirisme car le post-metal qui se dissimule joue aussi sur ça, jouant avec les altérations célestes et certains codes esthétiques qui se rapprochent.

Le chante est très typé mais de manière insidieuse car Chris offre un chant black caractéristique où des éléments venant du post metal sont présents. Cela engendre un chant singulier, à la puissance évidente et à l'efficacité bien marquée. Mais deux autres chants apparaissent dans l'album, un féminin sur 'Here comes the rain' (Cindy Sanchez du groupe Lisieux) et un autre masculin, sur 'Nothingness' (tenu par Lionnel Forest de Cloudy skies), marquant là aussi du contraste avec les chants et leur approche mais aussi une continuité logique et une cohérence avec l'approche musicale et la volonté de faire passer des émotions différemment.
Le son est excellent. Il est massif, très clair, avec un soin évident pour les besoins des sonorités et des contrastes, en même temps que la mise en avant des éléments contraires que le groupe déploie. Les arrangements sont subtiles, par rapport à la base plus massive et l'ensemble laisse une puissance s'exprimer, de plusieurs manières. Les chants ne sont pas perdus dans la musique, le trio apportant un soin à ce que chaque élément soit audible, qu'il soit brute ou tout en finesse. Il y a beaucoup de richesse dans le son d'ailleurs pour ce point.

Je découvre Nature Morte musicalement avec Oddity. C'est une excellente découverte, avec des multiples facettes, dont l'écoute, pour son optimum, se fera plusieurs fois, du fait de la densité de l'album. Mais toute personne amatrice de metal extrême raffiné (oui, c'est raffiné), racé et sortant des sentiers battus accrochera. Il s'agit clairement d'une pépite!

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