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Nous n'avons que le choix du noir

Tenebrisme

Autoproduction

21 octobre 2023 à 08:46:33

CD digipack DIY classe

2023

3 titres pour 38'35''

Une petite vidéo:

Tenebrisme est un one man band de Nouvelle Aquitaine de black atmosphérique instrumental, la seconde facette d'une vision musicale rattachée à une réflexion dont Etna est l'autre face. Si tu lis depuis longtemps Margoth, tu as forcément vu passer les autres chroniques de ce que fait Kaëlig. Cet album est son troisième effort, qui est le dernier d'un cycle avec Tenebrisme (si je ne m'abuse).

Avec Tenebrisme (le nom fait référence à une technique de peinture utilisant les clairs obscurs se basant sur la lumière directe, en simplifiant), il faut savoir que chaque segment sorti fait un lien avec une réflexion qui est mise en musique, avec un esthétisme qui est impossible à confondre avec un autre groupe ou projet.
Pour celui-ci, cela part du désarroi de Kaëlig face à l'humanité qui court à sa perte, avec les masses sans consciences vivant une illusion façonnée et balisée par des élites dont l'unique vision est inscrite dans le court terme. Il fait donc un lien avec une peinture de Brueghel, 'La parabole des aveugles', ainsi que quelques mots de Victor Hugo: "Celui qui médite vit dans l'obscurité; celui qui ne médite pas vit dans l'aveuglement. Nous n'avons que le choix du noir."
Avec cette introduction qui permet de contextualiser l'album, on peut se focaliser sur la musique elle-même.

On retrouve trois titres, dont un qui est un exercice de reprise. On va faire dans l'ordre des choses, car c'est quand même une approche très réfléchie qui est proposé ici, qui est un développement d'une pensée mise en musique et créant un tout. ''L'homme qui ne médite pas vit dans l'aveuglement' est le premier titre qui s'offre à nous, un titre fleuve, caractéristique de l'approche de Kaëlig, à la densité importante. Il va développer ici un rythme plutôt lent, où la mélancolie est ce qui va imprimer sa puissance dans l'arc émotionnel de cet album. Cette mélancolie est très prenante, faisant le lien directe avec la réflexion de Kaëlig, qui lui offre ainsi un terreau fertile pour pouvoir développer, sure cette trame, différentes facettes sur le titres, se modulant dans les rythmiques et les tempos. Et là encore, malgré le côté instrumentale, pas une once d'ennui à craindre, bien au contraire.
Car Kaëlig nous offre des circonvolutions, des développements prenant leur temps, pour nous mener à des sommets, créant des points hauts où son black prend tout son essor et nous offre un esthétisme soigné. Car ici, tout est poussé au maximum, la mélancolie s'appuyant sur la puissance (la puissance des fulgurances qui jaillissent parfois, typiquement black mais aussi la puissance de la charge émotionnelle, ainsi que celle de certains segments structuraux bien caractéristiques). Il y a vraiment la vision qui est à son paroxysme car celle-ci va faire appel à des arrangements extrêmement forts, se basant sur des claviers et des orgues, jouant soit sur la subtilité de notes cristallines, soit sur la puissance montante, offrant dans la musique ce qui ressemble à des canons issus de la musique classique, mais sans le support de la voix, qui est remplacée par les guitares ou certains arrangements. Le tout gardant en ligne de mire cette mélancolie puissante, qui te prend à l'âme et par un effet de manche redoutable, va te plonger au sein de l'univers qui se dépeint à travers le prisme de la musique.
Ce premier titre offre clairement différentes parties, qui se lient entre elles aussi bien par des fulgurances que par des transitions recherchée, livrant un raffinement qui est parfois là aussi très marqué. Le titre permet ainsi d'explorer les tempos, instillant différentes teintes, mais aussi les structures qui offrent une modulation qui enrichit la trame du titre. Trame qui offre d'ailleurs plusieurs niveau d'écoute car se basant sur certains aspects pouvant être considéré comme une entité à part ou comme moyen de faire glisser la réflexion induite par le titre (dans son approche musicale mais aussi par l'aspect atmosphérique très puissant).
L'atmosphère qui prend place progressivement au début du titre ne perd pas une once de sa force et une fois en place, elle offre toute sa force au titre, s'ouvrant sur des facettes qui apportent différentes teintes mais en gardant quand même la cohérence. C'est quelque chose de fort, du fait aussi de la sonorité et de la musicalité que développe Kaëlig.

'Lent, vague, indécis' est la reprise d'Alexandre Scriabine. Le titre, très court car durant juste deux minutes, entretient l'aspect mélancolie mais Kaëlig y ajoute une notion plus sombre, avec une certaine dissonance et une altération des notes, offrant, durant ce court laps de temps, une sorte de malaise palpable, qui apparait au final dès le premier titre, mais de manière diffuse. Mais ce titre est aussi une ouverture qui sert d'amorce pour le dernier titre, où la mélancolie s'adjoint un aspect plus sombre, bien que toujours très mélodique (ce qui en fait une force). Le titre va aussi impacter le suivant, de manière surprenante car ce dernier va avoir des éléments différents qui vont créer un contraste (et en même temps des différences complémentaires.

'L'homme qui médite vit dans l'obscurité' est donc la suite, 3e titre de l'album, avec une durée très conséquente dont la tonalité diffère au début, jouant sur quelque chose de plus aigu tout en appuyant la basse (déjà bien présente sur le premier titre), qui offre un contraste plus marqué (et hop, lien avec le mouvement du ténébrisme). L'ambiance y est plus sombre mais en s'appuyant sur les claviers, il y a une dimension quasi sacrée dans la musique, qui prend le temps de se développer pour muter en quelque chose de plus en plus mélancolique, jouant sur un aspect d'une perversion de la musique. Le début marque vraiment une atmosphère puissante, très mélancolique, apportant un aspect presque ambiante avant l'introduction de l'aspect black qui va revêtir un aspect plutôt sombre, jouant avec la limite entre doom et black. Cela impacte à la fois la musicalité, avec une approche plus lente, sans vraiment d'accélérations mais plus quelque chose qui va apporter des moments plus lourds, quasi rituel parfois (qui créent un lien avec l'évocation doom).
La structuration du titre est là aussi dense mais avec une approche différente, qui va rappeler la dissonance du second titre (à la fois dans le son mais aussi dans les structures qui offrent parfois un aspect destructuré). Cela crée une trame particulière où Kaëlig va enfoncer le clou avec des passages chargés de tremolos, avec des lignes de guitares plus singulières et jouant avec les patterns de batterie, qui vont faire des va et vient entre l'ADN de Tenebrisme et le lien avec le second titre, distillant une sorte de malaise assumée, où la puissance ne se traduit plus de la même manière, bien que la facette émotionnelle soit bien présente (honnêtement, cet aspect est juste dynamité. C'est monstrueux d'efficacité et c'est peut-être là que se cache une partie de la puissance du titre).
Le titre adopte aussi un rythme vraiment plus lourd, plus lent, faisant la part belle à des nappes de claviers très atmosphériques, apportant une identité sonore qui va impacter progressivement la trame et une partie de la nature du titre. Ca rejoint l'idée de base à l'origine de cet album.
Et c'est là que, lorsque tout semble être un point terminale que Kaëlig vient offrir un break complètement fou, à 15 minutes environ, avec une fulgurance black et un jeu de batterie très fort, contrastant avec le reste du titre mais cultivant toujours le lien avec la lenteur dans seconde guitare lancinante et les claviers sous forme de nappes, dévient vers une furie purement black, offrant un putain d'exutoire auquel on ne s'attend pas. C'est ce qui termine le titre, servant de catalyseur au fragment d'idée que c'est foutu, à cause de la vision à court terme des élites. Et une manière de finir en beauté, avant de laisser se boucler le cycle Tenebrisme une dernière fois.
Le titre s'appuie ainsi en partie sur l'idée que développe 'Lent, vague, indécis', en apportant cette approche plus singulière, jouant sur une forme de dissonance qui va jusqu'à jouer sur la variabilité du titre et la dissociation qui découle de la différence entre la fin fulgurante, le début et l'essentiel du titre, très posé et la forme qui se module de manière soudainement bestiale. Titre qui est là aussi mûrement réfléchi.

Le son est très intéressant. Il offre une plus grande richesse, jouant sur les contrastes, avec une clarté marquée dans les aigus et une basse bien plus présente. Il y a clairement un sacré travail sur les arrangements et le mixe car on retrouve une stratification aussi bien dans les structures que dans les tonalités, Kaëlig marquant plus que jamais les différentes teintes, créant une trame sonore redoutable d'efficacité. Mais le son cultive aussi ce lien avec le ténébrisme, déployant finalement quelque chose qui s'approche plus d'une entité que d'un simple album.
Il appuie une partie des arrangements, très riches, sur les claviers et des orgues, avec une approche singulière car jouant avec les natures de ceux-ci, ainsi que leurs rôles conventionnels mais aussi une forme d'ambivalence, que l'on va retrouver dans le son par les contrastes et d'autres éléments plus diffus. Même si Kaëlig fait tout lui-même, il place la barre très haut, de manière magistrale.

Tenebrisme voit ici un dernier chapitre mélancolique mais redoutable d'efficacité et permet à Kaëlig de nous offrir un véritable bijou abouti, une véritable pépite du genre, clôturant un cycle et peut-être le prélude d'une autre facette à venir. Quoi qu'il en soit, c'est un album essentiel qui a sa place chez tout fan de musique réfléchie et de metal extrême. Avec l'impression de quitter un vieil ami pour toujours. Juste excellent!

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