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Nourishing the disaster to come

Berlial

My Kingdom Music, Source Atone Records

11 juin 2025 à 13:11:30

Dématérialisé

2025

6 titres pour 47'03''

Une petite vidéo:

Berlial est un duo français naviguant dans le black metal, avec un premier album en 2022 à son actif. Le groupe remet le couvert cette année avec cet album, qui n'est pas dans une veine très positive. Une interview de Manu est disponible ici, pour faire le lien: https://youtube.com/playlist?list=PLSU7gz1Jt1f58DqKquB4TPEiJ1djjHEBU&si=R6W02_oRulTMen_F

J'ai pu jeter une oreille sur Berlial grâce à Romain Richez d'Agence singularités qui commence à connaitre un peu mes goûts.
Alors Berlial je ne connaissais pas. Et avec un nom comme celui-ci, que c'est du black, qui mêle divers éléments, glisse des éléments d'autres sphères et va explorer d'autres chemins, ça ne pouvait qu'être bien. Non?
Bon, pas de suspense. C'est une excellente découverte. Le duo joue donc un black metal assez vindicatif, modulé et qui va vers des sphères indus et dungeon synth parfois, gardant toujours une cohérence de tous les diables (c'est important la cohérence). Le groupe a une approche profonde, au travers de sa musique et de ce qui gravite autour de l'album dont le titre ne fait pas de mystère.


Donc, en toute logique, je vais d'abord parler de la musique, vecteur des paroles. Comme je l'ai dis, il s'agit d'un black avec des moments vindicatif et construisant des segments marqués, ainsi que des ambiances qui se rattachent à une atmosphère globale, faisant le lien avec le titre (cohérence à fond les gars!). Les 6 titres qui constituent l'album abordent différentes formes du black, jouant avec les codes de manière intelligente et avec subtilité, tout en veillant à garder un côté à la fois vindicatif et malsain.

Le côté vindicatif vient aussi bien des rythmiques et des structures, que du chant, très caractéristique du black que je mettrais volontiers dans la case de la première moitié des années 90: un chant agressif, parfois éraillé mais clairement identifiable. Le duo apporte des éléments très marqués, imprimant une empreinte d'une vision détachée et affirmée de ce que le black est pour eux (mais le chant va bien plus loin que ça). C'est aussi une approche avec un regard bien spécifique, rattaché aussi bien à l'époque évoquée qu'à la nôtre, s'ancrant complètement dans notre période.
Les rythmiques et le tempo sont souvent pied au plancher, marquant vraiment cette envie d'en découdre mais aussi la vision que l'on va droit dans le mur (ce sera la prochaine grosse section). Le duo veille quand même à offrir une modulation dans cet aspect, permettant de placer des strates identifiables, qui nous enfoncent plus loin dans le cauchemar. Il y a d'ailleurs un jeu avec ça sur la totalité de l'album, qui va dessiner une toile plus vaste dans laquelle s'inscrit l'album. Cela permet d'avoir une vision globale en même temps qu'une exploration des détails, souvent sombres et gardant cet côté vindicatif.

Leur black charrie une approche malsaine, qui ajoute un autre biais à l'aspect vindicatif. Le duo tisse une trame complexe où l'équilibre des forces est un combat constant, érigeant des structures nettes qui vont aussi allez visiter des sphères qui se détachent du black. C'est là que des aspérités venant du dungeon synth s'expriment mais le plus sombre va venir des aspects plus électros qui distillent une sorte d'indus qui n'est aps sans m'évoquer dans certains aspects l'approche du groupe Madre (qui lui y va nettement dans le malsain, mais l'idée est bien là).
Le duo injecte des éléments de discours qui ajoutent à cet aspect, renforçant le lien avec Madre et d'autres groupes aux concepts marqués, à la lisière du black. Ici, Berlial y va frontalement, ajoutant encore plus de noirceur et faisant une avancée majeure dans l'univers déliquescent qu'il nous déploie, qui est, qu'on le veuille ou pas, le nôtre. Berlial offre un black qui regarde vers d'autres styles, esquissant une approche différente, jouant sur la noirceur et les émotions. Mais aussi, de manière plus perverse et efficace, notre perception.

Le groupa amène aussi un aspect parfois plus martial sur certains passages, ajoutant une structuration plus nette du bourbier dans lequel on s'enfonce. Il oblique de plus en plus la barre vers l'obscurité, nous trompant parfois avec des passages plus lumineux. Cet aspect martial permet de faire une sorte de fil rouge sur certains éléments spécifiques, pouvant rendre la musique encore plus agressive ou, au contraire, glisser cet aspect martial dans des moments en décalage, ajoutant du malaise et une autre approche à l'aspect vindicatif.
Le groupe ajoute une dernière touche au cauchemar, avec des éléments plus retors, comme de la dissonance, des altérations diverse, des contretemps ou même des sonorités qui sont déformées. Ce sont des éléments pouvant apparaître aussi bien frontalement que de manière détournée ou diffuse, apportant un effet différent qui se rattache à son contexte et mettant en place une modulation du style, qui fait un lien avec les esquisses des genres évoqués que l'on retrouve. Mais qui joue aussi avec des éléments qui dégagent un aspect blasphématoire, comme les chœurs liturgiques ou certaines évocations religieuses, rattaché au concept de l'album (car pour moi, il y a un concept derrière). Car cela ne peut être un heureux hasard, on est vraiment sur quelque chose de réfléchi et mûri.

Mais où le duo fait fort, c'est qu'avec tout ça, il y a un indéniable aspect mélodique, à travers des riffs et des thèmes très accrocheurs, qui vont se graver dans ton esprit (par la musique et le chant). Il y a une force évidente sur ce point, amenant des paroxysmes d'émotions contraires et appuyant, par le contraste évident, l'aspect malsain et pouvant amplifier la violence. Car oui, les mélodies ne sont pas rattachées uniquement à des moments plus posés. Il peut y avoir une coexistence de mélodies sublimes avec une rythmique et un fond intense, ouvrant la voie à cette perversion de la perception que j'ai évoqué.
Et ce côté mélodique prend une place particulière, devenant parfois une entité à part qui vient troubler le jeu et donner une approche plus pernicieuse, en brouillant les pistes mais aussi en plaçant la perception des éléments sur un autre plan.
L'aspect mélodique va aussi se confronter à l'aspect violent et malsain de manière abrupte, parfois avec des transitions, mais souvent sans pincette, à l'image de 'The last dance', qui brosse une esquisse de ce que va rencontrer la personne qui écoute l'album, plaçant des jalons ici et là que l'on va retrouver au sein de l'album et créant des passerelles entre les titres, tout en ayant toujours l'objectif du titre en ligne de mire.

Tout cela fait que le black de Berlial est accrocheur, avec une grande profondeur et une réflexion sur la composition. Les structures qui apparaissent sont aussi bien à la taille de l'album que de plus petites dimension, à l'échelle des titres très structurés et modulaires. Il va sans hésiter visiter d'autres sphères, œuvrant toujours à garder une cohérence avec l'ensemble (d'où certains thèmes qui se ressemblent parfois, sans être non plus ressassés jusqu'à l'écœurement, bien au contraire). mais tout ça, c'est déjà bien mais il manque ce qui est le sujet de l'album.


Berlial apporte un concept (du moins, je le vois comme ça) sur ce qui nourrit notre propre fin. Les 6 titres, en anglais ou en français, s'appuie sur des textes puissants, en terme de mots, d'évocation mais aussi d'un regard analytique froid et clinique, mettant en exergue la connerie humaine et son cheminement vers sa perte, mais sous un angle différend.
Le duo apporte des textes intéressants et riches, qu'il va amplifier à travers des thèmes marquants, puissants et dérangeants, qui viennent en complément à la musique, dessinant un tableau complet où certains éléments tiennent du symbolisme ou vont nous mettre face au paradoxe de notre espèce. Il n'y a pas d'échappatoire, qu'on le veuille ou non, c'est foutu et ce sera soit notre autodestruction soit par la nature qui calmera notre arrogance.

Le groupe glisse des extraits de discours qui amène le sujet vers des éléments très spécifiques, sur lesquels le chant va venir exprimer un ressenti ou une analyse sombre voire noire mais pertinente. Les textes en français sont encore plus efficaces car n'ayant pas besoin de poser la phase de traduction en tête (moi, ça m'arrange bien). Cela permet de jouer sur la modulation de l'aspect malsain, livrant ici et là de faux espoirs, qui sont une réalité qu'il faut accepter.
Certains titres dégagent encore plus de puissance dans leur évocation, de par la structure ou la construction, de par les textes. Il s'en dégage ainsi deux, qui sont d'une redoutable efficacité: 'Ivresse de la finitude' et 'Le néant pour éternité'. Le premier va se graver dans ton esprit, entre la mélodie et le thème de base, le jeu des textes jouant sur une sorte de blasphème de la vie et la construction du morceau et la manière dont le black oblique au besoin dans sa polarité et la violence. L'efficacité venant aussi de la puissance des mots qui évoque l'impuissance de l'humain. Une tuerie.
Le second, qui clôture l'album, est un constat amer, avec du spoken-word qui se marie au chant black, avec une progression lente et marquée plus black indus vers une fin à laquelle on ne s'attend pas, qui sera celle probable de l'humanité: abrupte et sans concession. Le titre offre un final net, en complète cohérence avec l'album et le sujet global. On est presque sur une approche finale d'un black dépressif, ultra malsain mais tellement cohérent avec le reste.

Un petit mot sur l'artwork aussi, qui vaut le détour. Il est à la fois chargé de symbolisme et très cartésien. La peinture (Jeff Grimal) est à la fois efficace et va explorer le concept de l'album. La force évocatrice est présente, avec ce satellite écrasé au sol, au milieu de ruines et de débris, traversé par une rivière qui ne doit être rien de moins que le Styx, sur laquelle le passeur navigue seul pour l'éternité, avec un fond tempétueux. Il y a un contraste intéressant d'ailleurs entre le Styx, associé au ciel et les restes de ce qui symbolise l'humanité. C'est assez rare une telle puissance qui fait le lien entre visuel et la musique.


Le chant se partage entre un chant black pur et dur, offrant une modularité dans différents registres du black dans lesquels évoluent les deux gars (car oui, il y a deux chants). Il y a aussi un chant plus clair ici et là mais aussi du spoken-word, jouant sur le ressenti et l'angle de compréhension des textes, en anglais ou en français selon les titres. Sur l'aspect black, cela va d'un chant très début années 90 à des approches plus actuelles, jouant sur la densité et la corrélation entre les éléments délétères évoqués. Les deux chants joue sur la cohérence là aussi, participant à notre plongé en enfer.
Le son est excellent. Si il adopte un son typiquement black, avec un aspect froid et vindicatif, les claviers et certaines structures apportent de l'aération et du contraste, pour mieux nous enfoncer plus loin dans l'enfer. Il y a une structuration du son, jouant avec des codes liturgiques ou sacrés, qui apporte la notion de blasphème à la vie (me renvoyant à nouveau vers Madre). Les instruments sont audibles, avec une batterie qui va, certes, vite, mais dont les éléments sont tous bien audibles. Petite folie furieuse avec deux basses, jouant sur des tonalités un peu différentes, qui apporte deux points de perception différents et glisse un peu de malaise par ce biais. Les chants sont à l'équilibre avec la musique. La place nécessaire pour les extraits des discours est amené de manière à être audible très clairement mais sans être dissocié du reste. Et il y a une approche qui va distiller une étrange nostalgie, qui apporte un peu plus de malaise, par le contraste qu'elle amène. Excellent!

Berlial est un groupe que je découvre avec un album de black sacrément efficace et malsain, posant une réflexion dans son sujet et sa conception. C'est très dense, avec de multiples détails à explorer (j'ai du l'écouter avant la chronique une bonne dizaine de fois, je ne m'attendais pas à ça). Incontournable et indispensable. Cet album va rejoindre ma collection.

© Margoth PDF

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