

MARGOTH 5
PDF5
Neon chaos in a junk sick down
Deliverance
Les acteurs de l'ombre productions
17 décembre 2022 à 15:03:36
CD digipack
2022
6 titres. Durée 1h02'05''
Une petite vidéo:
Deliverance est un groupe formé en 2013 qui livre ici son 3è album (après, en toute logique 2 albums et un Ep, étalé entre 2013 et 2020). Là aussi le groupe propose une approche un peu différente, évoluant dans le sludge post black (évidemment, on simplifie).
'Salvation needs a gun' pose le décorum de l'album tout en exposant le cœur de la bête: un black assez sombre s'éclatant avec une base sludge, engendrant un titre direct, plutôt brut et qui distille pourtant une ambiance diffuse étrange qui capte dès les premières notes. Si cette base est bien identifiable, on entend aussi d'autres éléments en second plan qui amène ce que sera l'album à la suite. Car ces éléments, avec un côté psychédélique et qui prennent aussi au progressif, vont prendre un côté plus frontal à la suite. Mais sur ce premier titre, le black domine bien, avant d'opérer une métamorphose hybride en seconde partie de titre, appelant des éléments électroniques et installant une altération du son dans la basse, apportant un aspect un peu grumeleux et abrasif. Dans la forme, le black reste bien présent mais va amorcer cette mutation, qui va quelque peu s'accentuer dès le second titre 'Veneral', impliquant une densification et variation de rythmiques, prenant un appuie singulier sur l'atmosphère esquissé au premier titre. Le groupe va alourdir son black en injectant de manière plus marquée du sludge qui va vraiment commencer à s'orienter vers quelque chose de moins calibré, se posant sur l'ambiance et la structure, aidé par des éléments électro. Le titre est incroyablement dense malgré sa durée assez courte (moins de 5 minutes), amenant aussi des breaks et cette lourdeur, qui s'accentue, accompagnée de cette altération. Les cervicales vont souffrir, mais aussi les repères que l'on a, le groupe jouant l'expérimentation. Et c'est là qu'il est peut-être utile de poser les idées explorées: les problèmes de santé mentale, les addictions et les tentatives de désintoxications (mettez ça dans un coin de votre tête).
Et cela explose sur le troisième titre, 'Odyssey', qui prend une tournure improbable, mêlant ce côté black sludge à quelque chose qui rappelle la cold wave (une approche qui rappelle pas mal Depeche mode mais en plus malsain, faut pas déconner) et qui prend le temps de se développer et d'aller explorer ces étranges contrées mais en allant marquer les rythmiques, notamment par les basses et de dévoiler un aspect plus cinématographique sur certains aspects du titre. Le titre suit un schéma qui reprend en partie celui des deux premiers titre mais s'en écarte pourtant, pour aller bien au-delà du black et intégrer ce clavier qui prend une importance. Le groupe ouvre son imagination aux vents et la laisse partir dans diverses directions.
Mais pas de manière arbitraire. Le groupe laisse son imagination exploser mais formalise un cheminement, à la fois dans la musique, les styles qui la traversent mais aussi à travers les paroles, qui explore cette odyssée. Un voyage qui se lie au côté black par sa noirceur, avec une progression vers un final qui l'est plus. Et qui lie complètement l'évolution du titre aux paroles. Et l'atmosphère du titre, les émotions qui y passent (véhiculées par la musique et le chant qui opère des changements) sont un moyen supplémentaire pour nous mener avec le groupe au terme de ce voyage.
Le titre, comme je l'ai dit, formalise ce cheminement mais l'exécution de la musique échappe au formalisme auquel on s'attend. Déjà en adoptant un rythme différent, plus lourd mais qui va progressivement s'étirer puis prendre une forme progressivement plus rapide, ramenant sur la fin des éléments plus typés black (et offrant néanmoins de la variation de thème).
Et 'Odyssey' est en fait l'ouverture d'une boite de Pandore. Car les titres qui suivent changent le paradigme, par rapport aux deux premiers titres. Mais d'une façon bien vicelarde et complexe, puisque qu'il y a toujours cette base black mais qui fusionne avec les éléments psychédéliques, le côté progressif (les titres ne descendront plus sous les 7 minutes) et un aspect un peu torturé. La fusion devient complète et éloigne alors la musique du début vers les sphères post black qui s'affirment. Cela n'empêche pas de la furie d'inonder les titres mais celle-ci s'enrichit des éléments injectés dans la musique, lui offrant un polymorphisme plutôt sympathique et va même amener quelque passages plutôt épiques. Et cela passe par différents biais, dont certains sont inattendus, comme par exemple une soudaine lourdeur qui s'accompagne d'un changement de ton et d'une altération ('Up-tight' sur son final). Et le clavier qui commençait à être plus présent sur 'Odyssey' devient plus une présence qui se démarque par moment, jouant aussi sur la disharmonie ou les altérations.
Cela ouvre en fait la voie à un cauchemar dans lequel on a plongé sans trop le savoir et que l'on que l'on s'en aperçoit, il est trop tard. Il prend corps dans la réalité et tout se mélange, nos repères s'effaçant définitivement. Le groupe le marque nettement sur 'Neon chaos' qui amène des sonorités électroniques qui se mêlent aux éléments psychédéliques et qui glisse vers quelque chose d'hybride entre ce cauchemar et une notion plus cinématographique. La dimension est très fortement appuyée par le rappel du black du groupe. Et c'est là aussi que l'avancée des titres est la plongée dans les tréfonds du cauchemar, un cauchemar qui n'a rien de collectif mais qui se rattache à l'intimité de chacun, à ses démons , à son enfer personnel. Les lumières des néons ne sont que le prélude au final (dont l'atmosphère amenée par le groupe à partir de 5'40'' glisse ce cauchemar en une incarnation, quelque chose de semblable à des battements de cœur y prenant pied).
Le titre final 'Fragments of a diary from hell' offre la continuité de 'Neon chaos' mais en y ajoutant encore plus d'éléments cauchemardesque par le biais des sonorités, de l'approche, de cette notion plus spatiale, appuyé par la voix féminine plutôt électronique qui va sembler incarnée quelque chose de très personnel, peut-être notre conscience. Et rappelez-vous alors ce que je disais au début, concernant les thématiques abordées et là, vous comprenez complètement le cheminement de l'album. Car ce dernier titre va extrêmement loin, en matière d'épuration du black (qui devient nettement plus sombre encore, plus lourd, assez minimaliste) et intègre un peu différemment les éléments exploités jusqu'ici. Au-delà du travail sur la rythmique, l'incorporation du clavier, il y a cette dimension cauchemardesque cinématographique qui prend vraiment pied mais de manière à s'immiscer dans l'esprit, en utilisant des éléments répétitifs et cette lourdeur, accompagné au besoin de la voix féminine (qui change un peu de tonalité dans la progression du titre, prenant un timbre plus humain). Et on s'enfonce franchement dans les confins perdus des méandres de l'esprit, le titre nous enfonce dans cet enfer qui est le notre, en nous. Le titre s'offre une mise en abîme habile. Et le côté progressif se ressent au travers de l'extension du titre (plus de 17 minutes), signant la perte du repère temporel (alors là, on est sur quelque chose de plus précis, qui va plus toucher ceux qui ont pu avoir des soucis de santé mentale, ce qui leur parlera plus comme ça me parle). Et qui marque cet enfermement dans notre enfer personnel où l'on devient juste un spectateur de notre existence. Mais abordé de manière très sombre et torturée.
Le chant est intéressant car il prend une part de son essence dans le black mais va exploiter aussi les différentes facettes qui sont explorées, de manière assez subtile car le côté black n'est jamais effacé et reste toujours présent. Il y a quelques nuances ici et là, qui ponctue le chant, ouvrant des brèches dans ce qui fait l'essence de l'album. L'ajout de la voix féminine sur le dernier titre permet de jouer sur la dimension et la perspective du chant, donnant quelque chose qui s'extirpe des clichés.
Le son est excellent et très riche. Faisant appels à beaucoup d'éléments, il permet à chacun d'être présent, que ce soit dans des subtilités et nuances que dans les aspects plus frontales. Il y a un travail sur les altérations et les dissonances, qui font le lien avec les thèmes. Les instruments ont aussi un double traitement, l'un dans leur usage attendu, le second servant le concept par soit une mise en avant plus importante (le clavier, au besoin) soit par un changement de jeu ou de tonalités. Il y a une réflexion sur le son, qui le pose plus comme une entité à part qu'un simple vecteur.
Je vais évoquer aussi l'artwork et le graphisme cette fois. Celui-ci offre une première ébauche du cauchemar et de la perte des repères (l'artwork est très symbolique tout en restant accessible et ouvert à interprétation). Mais c'est à l'intérieur du livret et du boitier qu'il y a les signes de l'extérieur et de l'intérieur (de l'esprit en l'occurrence) et qui offre un lien avec les paroles et la musique, laissant cette fois une voie plus directive sur le sens de celui-ci (tout en laissant un peu de marge pour une variation). Et il y a vraiment un côté esthétique, relativement épurée mais qui offre à la fois un côté concret et quelque chose de plus abstrait.
Deliverance délivre (pas fait exprès celle-là) un album très intéressant, profond, où le groupe explore des notions liés à des thématiques fortes. Il reste accessible car très bien réfléchi et offre une fenêtre sur le concept de l'enfer intérieur. Il recèle de la puissance mais pas nécessairement de manière attendue, ce qui est très accrocheur, ayant beaucoup de détails à explorer. Excellente découverte là encore.