Salaman Isku est un one man band français fondé en 2013 par Julien J. Neuville qui désire avoir une approche impressionniste de la musique. Il sort un premier Ep éponyme en 2013, à la croisée du metal, du rock, du folk et de l'électronique. Puis entre 2014 et 2016, il développe l'album qui nous concerne, abandonnant l'aspect électronique.

Le voyage nocturne narre le voyage sous Mescalito, le vieil esprit végétal du cactus mexicain. L'album explore ce voyage initiatique du crépuscule à l'aurore. Et là, tu sens qu'il doit y avoir un aspect psychédélique. Et je te le confirme: c'est psychédélique à fond, certains aspects en découlant totalement.
La musique puise dans le metal et le rock, avec cet angle psychédélique qui oblique aussi bien les constructions que les riffs vers ce point vaporeux. Et celui-ci apparait très rapidement, dès le début de 'Le crépuscule'. C'est assez planant, plutôt lent. Mais Julien ne s'est pas juste arrêté à ça. C'eut été trop facile. Car il prend plaisir à intégrer dans l'aspect psychédélique des éléments plutôt complexes, jouant sur les structures et les riffs (et posant dans l'album la fameuse sacro sainte logique). Car cela suit une logique, liée au concept.

Et cela fait forcément évoluer les titres, suivant une progression qui accompagne ce voyage initiatique, qui crée un nouvel être à la fin du cycle (car c'est un cycle finalement). Mais ce cycle n'est pas un voyage tranquille et Julien explore à la fois les sensations du Mescalito que le ressenti et la perception qui en découle. Et c'est là que prend sens sa vision de la musique.
Et celle-ci suit forcément la temporalité mais aussi la montée des effets psychotropes, ce qui donne à Julien le moyen de pouvoir moduler sa musique et d'offrir, mine de rien, des évolutions et des changements inattendus. Que ce soit dans les rythmes, la forme ou même la construction (et même la nature de la musique elle-même). Et au fur et à mesure que celle-ci s'écoule, très rapidement Julien va glisser des altérations, liant la perception de la réalité altérée à la musique, en jouant aussi bien sur les riffs que les sonorités. C'est assez étrange à la première écoute, voire déstabilisant, car s'éloignant parfois assez loin des conventions, pouvant même évoquer une approche noise (car parfois assez déstructuré) lente.
Mais la lenteur n'est pas vraiment ce qui marque la musique car les tempos peuvent être rapides, avec un angle étrange (toujours lié à l'aspect psychédélique qui imprègne la musique). Et habilement, cela lui permet d'amener des breaks étranges mais surtout une part ambient qui s'exhale à certains moments, nettement liés à l'aspect psychédélique. Cela altère la musique, sa forme et le ressenti mais s'avère, en toute logique, naturelle.
Un élément qui me plait bien est l'évolution de l'utilisation et de l'importance de la basse au fur et à mesure que l'album défile. La nature change, aussi bien pour la musique que pour la basse et son rôle, lié en même temps à la rythmique, logiquement mais aussi la jouxtant comme une surimpression. Et c'est là qu'apparait vraiment la volonté de rendre la musique impressionniste. Que cette notion prend sens. La basse, avec certains autres éléments et instruments, vont vraiment donner cette sensation que la volonté de Julien est de nous gravé dans l'esprit sa musique, par le même biais que l'impressionnisme en peinture le fait. Mais ici avec toujours cette altération, ce décalage assumé et nécessaire.

Mais avec tout ça, il y a aussi un aspect musique folklorique qui fleurit, ajoutant à cette approche étrange une dimension humaine qui enracine la musique dans un aspect crédible. Et à travers l'aspect folk, cela lui permet de glisser des instruments comme la guimbarde, dans des passages planants, servant à placer vraiment un aspect plus spirituel à la musique, lui permettant de fermer la boucle mais en explorant différentes facettes. L'aspect folklorique n'est pas omniprésent mais intervient dans certains passages, servant à appuyer à la fois le coté psychédélique que la notion de voyage initiatique, posant un repère spatio-temporel (car le voyage est lié à un désert).
Mais l'aspect folklorique, associé à l'aspect psychédélique, glisse, au-delà des notions explorées, une certaine vision onirique (découlant de l'ingestion de cactus) et que cela va induire l'évolution de l'être de par son expérience vécue, de son ressenti et d'un aspect plus étrange, que l'on retrouve dans la musique. Et on retrouve cet aspect humain, en tant qu'être lié à l'univers qui l'entoure.

Le chant, en français, est clairement singulier. Il offre de nombreuses circonvolutions qui appuie le côté psychédélique, jouant même avec la notion de chant altéré (que ce soit la voix ou jouer sur la justesse du chant). Le chant est ainsi un élément qui sert aussi à nous immerger dans l'album et le voyage qui se déploie au long de l'album. La première rencontre du chant, à la lisière du parlé et du chant, est d'ailleurs assez déstabilisante puis paraît au final naturelle, collant complètement au concept et à cette vision impressionniste de la musique. Il y a réellement une volonté de lier le tout (musique, chant, altérations, psychédélisme).
Le son est excellent, même si je lui trouve un manque de puissance. Mais ce n'est pas important car ici, outre les aspects mentionnés plus haut, il y a un équilibre entre les instruments, tous audibles et reconnaissables, tout comme le chant. Là où il y a un point fort, c'est que Julien, dans le traitement du son, a intégré l'aspect psychédélique, par des altérations ou certains effets pertinents.

Le voyage nocturne est un album un peu étrange, avec une approche singulière. Mais en allant au-delà de la première écoute, on découvre un concept assez réfléchi mais surtout une vison clairement définie de la musique, qui s'ouvre sur une perception singulière mais à la cohérence marquée. C'est un album qui marque de par sa singularité et qui ne perd pas en charme avec des réécoutes. Soyez un poil curieux, l'expérience s'avère très sympa!