Kaamosmasennus est un one man band fondé en 2018, lié au travail de recherche de Master 2 sur le funeral doom metal finlandais par Julien J. Neuville (qui est aussi derrière Salaman Isku). L'album s'inspire d'un long voyage hivernal en Finlande et d'une dépression saisonnière (Kaamosmasennus en finlandais). Premier jet du projet qui s'exprime donc par ces 4 titres.

Il est indéniable que l'on retrouve l'empreinte de Salaman Isku (le son et le timbre de voix), ce qui nous place dans une zone déjà connue (du moins, pour les personnes ayant écoutées l'album de Salaman Isku). Les deux propose aussi un voyage, de nature différente et un soupçon de psychédélisme, dont la nature diffère cependant.

Les titres vont développer un côté progressif, prenant le temps d'être, d'exister et surtout de développer des atmosphères très prenantes, où la puissance évocatrice est omniprésente. Des atmosphères sombres, glaciales, qui renvoient directement au fait de marcher seul, dans une pénombre brumeuse, dans une forêt de conifères plongée, avec pour seul compagnon un plafond de nuages bas. C'est ce décor qui va servir de cheminement dans les 4 titres, pour déployer le funeral doom de Kaamosmasennus. Ca prend le temps, ça pose de la lourdeur, quelque chose de pesant rampant aux limites de la lumière restante. Et il y a la dimension esthétique du paysage qui est incarné par des riffs tout en finesse, parfois plus céleste, glissant une sorte d'onirisme glacé. Avec des durées pouvant dépasser les 10 minutes, le côté progressif se démarque. Mais il n'est pas seul. Car Julien pose une vision du funeral doom qui injecte d'autres éléments, proche de l'esthétisme ou de la nature du style.
Il y a déjà cette notion de psychédélisme qui surnage et imprime sa marque dans les titres, avec des parties singulières qui se mêlent, avec des riffs bien spécifiques, au reste de la musique. Et celle-ci repose donc sur des éléments musicaux qui sont voisins de la base musicale, amenant chacun une trame ou une part de l'atmosphère plus spécifique. Et si le funeral doom n'est pas très joyeux de base, sur ce coup, Julien enfonce le clou.

Ainsi dans les rythmiques ou certaines structures plus lourdes que d'autres, installant un tempo pesant, on retrouve du doom death, que le chant va d'ailleurs explorer pas mal sur cette facette. On se retrouve avec des ambiances plus morbides, plus sombres car le doom death développé m'évoque plus des groupes des années 90, avec ce côté morbide un peu cru mais ici, Julien prend soin de doser cet aspect, jouant ainsi sur les textures et les mélodies, les jouxtant avec des éléments très typés, donnant vraiment une imbrication du style (les autres aussi d'ailleurs) dans la base. Et cela lui permet aussi d'appuyer sur l'esthétisme que développe l'album, amenant un contraste pertinent, Mais il y a aussi un jeu avec la nature du style, qui se confronte à sa vision et glisse progressivement des éléments venant d'un autre registre, explosant sur le dernier titre (qui joue avec les éléments, dont la glace). Et Julien va aller même brouiller un peu les pistes, comme le ferait la neige sur des empreintes, se perdant dans la pénombre.

Mais il est aussi indéniable qu'il y a des éléments venant du black dans la musique. Mais pas de manière frontale. C'est nettement plus insidieux et subtile, pour coller au funeral doom et la nature de l'album. C'est plus sur des claviers qui amènent des ambiances ou des riffs dont la nature diffère mais qui s'installe pourtant dans la lourdeur du reste, infusant de manière discrète mais efficace la musique que nous livre Julien. Ce sera plus dans des riffs lents, des hauteurs de notes ou une nappe de clavier, glissant une sorte de black atmosphérique qui va imprégner l'ensemble.
Le black va aussi plus s'exprimer par certaines sonorités voir des bruits naturels (comme la glace qui craque), nous emmenant dans une évocation plus puissante tout en offrant un autre biais d'exploration par le black, pouvant s'apparenter à quelque chose de plus puriste, renvoyant à la fois à l'obscurité et à la blancheur de la neige, plongeant nos pensées dans un malaise dû à la saison.
Et Julien de glisser une variation entre ces 4 styles, tout en gardant en tête le fil rouge qui fait la trame de l'album. Il y a ainsi une sorte de rotation entre les styles, s'imbriquant lentement les uns dans les autres, créant un voile sur la trame de base. Toujours avec cette lourdeur, un aspect un peu sinistre et pourtant une beauté indéniable, un esthétisme que l'on attend pas et qui s'expose à nous.

C'est extrêmement efficace, d'un bout à l'autre. Car le tempo respecte cette idée de lourdeur, cette évocation d'une dépression saisonnière mais qui se sublime dans l'errance d'un voyage au milieu de la nature plongée dans une pénombre hivernal. Et nous offrir une sorte de guide à travers une progression qui va nous perdre au milieu de nulle part, faisant un focus sur la beauté de cette nuit polaire, mettant en valeur, mine de rien, la nature elle-même (et qui renvoie en parti au black, pouvant aussi côtoyer cet aspect).
La durée des titres n'interfère en rien sur le voyage car le temps est suspendu tout au long des 4 titres se développant sur l'album. Le temps étant lui-même une composante à la fois de la nature mais aussi, ici, du funeral doom que Julien déploie. Le temps étant à la limite de la rupture ou de la décomposition de sa nature, influant l'ambiance globale de manière intelligente.
Malgré le côté sombre et funèbre, il y a quand même quelque chose de plus lumineux qui se dessine, de manière diffuse, liant les styles et le concept entre eux mais glissant aussi un autre élément mais qui reste volontairement dissimulé, ouvrant la voie à une potentielle suite du projet.
Au-delà de tous ces propos, il y a la puissance qui s'exhale du projet. Puissance musicale, dans son raffinement et son évocation, puissance émotionnelle (il est indubitable que c'est très présent) mais aussi une puissance dans la manière de traiter et d'amener cette vision.

Le chant appuie vraiment l'aspect doom death, avec ce timbre particulier de Julien. Il joue avec un chant très lent, jouant la carte du funèbre et du morbide, raccord avec l'ensemble. Le chant n'est pas omniprésent et s'exprime qu'à de rares moments, ajoutant une sorte de solitude à la noirceur de l'ensemble. Le traitement du chant est de cette manière un autre biais qui est utilisé, ouvrant par celui-ci une autre dimension, qui vient se mêler à la trame musicale. Mais il apporte aussi un autre chant sur 'Kaamosmasennus' qui apporte une notion de chant liturgique, rappelant le chant de moines, glissant l'idée que la nature pourrait être une cathédrale, amenant une mutation de la notion du sacré (idée renforcée par certains éléments musicaux).
Le son est excellent. Tous les instruments sont présents, sans la moindre difficulté à entendre. Le chant est aussi présent, avec un équilibre qui renvoie la nature du funeral doom et qui le place à un léger retarit de la musique, sans que cela ne le rende secondaire. Le son fait la part belle au contraste entre un côté lourd et gras et des sonorités plus dans les aigus parfois (et qui, avec les éléments évoquant la nature, va offrir un moyen d'arrondir le côté funèbre). Julien installe, au-delà de l'ambiance, une codification à sa musique, qui lui donne une identité propre.

Que tu sois amateur de doom, funeral doom ou non, je ne pense pas qu'il soit judicieux de passer à côté de cet album, qui s'avère vraiment excellent et attractif, recélant un esthétisme puissant. Fonce.