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Le diable en personne

Draakanaon

Oaken Shield / Adipocère records

21 avril 2023 à 14:34:21

Dématérialisé

2021

9 titres. Durée: 51'05''

Une petite vidéo:

Draakanaon est un one man band à la longue et tumultueuse histoire, qui a commencé en 1998/1999 par un split avec Sectmass. D'obédience black death, le projet est porté par SM, multiinstrumentiste et qui fait tout lui-même. Tentative de fixer un line-up qui échoue, il choisit la voie de la solitude. En 2003 sort une démo puis le projet reste dans l'obscurité. Le temps passe, inexorable. SM cultivant au maximum une forme d'anonymat, restant volontairement dans les sphères confidentielles (comme c'est encore le cas).

Il faudra attendre décembre 2019 et la pandémie pour que SM réactive Draakanaon et commence a être plus actif, bien que ce soit dans une sphère très fermée, au fin fond de l'underground. 2 titres en 2019, un album en 2020 ('Veurghh !'). Il chosiot la voie du raw black mais un raw black singulier. Entre 2020 et 2022, plusieurs titres sortent et finalement sort en 2021 en digital 'Le diable en personne'. Et c'est celui-là même qui nous intéresse ici. Et c'est exactement le genre de projet que j'affectionne, cette approche solitaire et atypique, quelque soit le style -tant que ça me parle et engendre du frisson).

Draakanaon officie donc dans un raw black singulier, où les clichés s'estompent au profit d'une approche particulière, très viscérale et malsaine. C'est très sombre, obscène et blasphématoire (les deux qualificatifs qu'exploiteraient les plus fragiles) et va plus ou moins directement dans le gars du sujet. Si certains gimmicks sont là, ils ne sont pas légion et SM développe vraiment une singularité qui s'exprime par différents biais. Mais ce qui dénote est, au-delà de l'aspect extrême et bourrin, une dimension et un esthétisme sombre. J'y reviens plus loin.

Musicalement, SM nous emmène dans un raw black qui va cultiver différents aspects, à la fois dans la forme, le fond et les rythmiques. Dans la forme car il ne se cantonne pas à réciter des poncifs du genre mais va rapidement poser des jalons qui lui sont propres, ouvrant la voie à des modulations du style et un travail structurel intéressant, s'accompagnant de contrastes, d'altérations et œuvrant aussi à travers une approche singulière du traitement de la mélodie mais dans un prisme de noirceur. Noirceur qui imbibe la toile de la trame qui constitue l'œuvre qu'est 'Le diable en personne'. Il offre différentes facettes de son art (on peut vraiment parler d'un art sombre) qui vont engendrer en même temps qu'un déploiement de malaise une vision assumée et perfide du black mais avec pourtant de la subtilité, ce qui est un point de contraste. S'attendant à quelque chose de plus frontal.
Et c'est par là, par cette attente du frontal en pleine gueule, que SM cultive un fond protéiforme. Si la base reste indubitablement du black, et dans ce qu'il y a de plus malsain et agressif, il y a pourtant des choses qui s'étirent et vont s'infiltrer dans des sphères différentes mais toujours rattachées à cette approche obscure, malsaine. Il y a ainsi un côté électronique qui peut sourdre parfois, tout en parcimonie mais suffisant pour créer un malaise plus pernicieux et installer un transfuge vers une autre dimension. Mais qui pourtant va garder dans son âme cette indicible noirceur. Le fond varie mais sans trahir l'ADN qui habite Draakanaon.
Ce qui nous amène dans le traitement musical, notamment par les rythmiques. Car si le raw black rapide est la base, il y a un déploiement de richesses à ce niveau, pouvant offrir beaucoup de variations de genre, amenant des éléments plus martiaux, jouant sur des ralentissements ou des lourdeurs qui sont amenées naturellement. Les rythmiques offrent un éventail très large qui, en aucun cas, ne viennent casser l'atmosphère que distille l'album, renforçant au contraire, par différents biais, la noirceur qui s'exhale de l'œuvre. C'est malsain oui mais c'est aussi puissant et, paradoxalement, assez ambitieux. Car lors de différentes écoutes, la richesse des éléments se dévoilent plus, affirmant clairement la volonté d'offrir quelque chose de différent, qui ne regarde pas ce qui ce fait. Et SM livre sa vision du black.
Et pour ça, il n'hésite pas à injecter des choses moins consensuelles, que ce soit des ajouts bruitistes venant des tréfonds de l'électronique, des apports musicaux par altérations qui vont évoquer des films d'horreurs ou même des éléments tribaux. Mais tout cela amener logiquement car dans la continuité de la vision qu'à SM.

Et tout cela nourrit le concept et l'approche de Draakanaon. Et lui permettent d'apporter plus d'impact à son propos, mêlant blasphème, une certaine provocation mais aussi un défi lancé à la bien séance et ce, en développant pourtant une forme d'esthétisme. Qui va se retrouver dans les paroles qui contrastent dans la richesse du vocable et de l'exploitation des thèmes qui sont explorés. Mais au-delà de ça, il y a une dimension qui me paraît plus symbolique et philosophique, car certains éléments tendent vers l'évocation d'une cosmogonie, qui offre aussi bien un blasphème et un refus de déité qu'une approche plus profonde de travers humains qui sont renvoyés en images vers ce traitement de la religion. Cette cosmogonie est clairement singulière, noire, malsaine, à l'impact identique à celle qu'a créé H.P. Lovecraft. Mais cela va aussi plus loin, car au-delà de tout ça, il y a une approche plus punk, permettant de véhiculer un nihilisme assumé, se dissimulant derrière une forme de blasphème. Je suis persuadé qu'il y a plusieurs niveaux de compréhension au sein de la musique de Draakanaon, mêlant différents domaines comme la religion, la mythologie, le symbolisme et la philosophie, sous un apparat plus frontal. Et qui fait l'effet d'un miroir qui renvoie notre reflet altéré. Vers une réalité qui s'altère d'elle-même au fil des titres.

Mais à travers tout ça, attesté par l'approche mélodique qui existe ou le travail sur les riffs, il y a une quête d'un esthétisme sombre, portant des oripeaux noirs mais classieux, raffinés et qui nous amène dans l'immersion de son univers, transcendant le malaise et une forme de cauchemar en quelque chose de plus onirique. Mais il faut bien voir un onirisme perverti, à contre courant de ce que l'on peut attendre. Et cela passe par la durée des titres, qui permettent à SM de pouvoir explorer cette facette et de nous ouvrir une porte sur une autre dimension, une dimension dont les codes nous sont inconnus. Une dimension terrifiante mais attirante, de par sa singularité et son esthétisme divergeant complètement de nos rapports acquis et conventionnels.

Et le chant n'échappe pas à tout ça. On a un chant écorché, mettant à nue une âme torturée. Mais ce chant offre énormément de variations, que ce soit dans le timbre ou le chant, amenant quelques passages plus clairs. Le chant est en français et chaque écoute révèle un peu plus des textes qu'écrit SM, dévoilant vraiment cette impression de quelque chose de plus profond que l'on croirait de prime abord. Le chant est aussi un vecteur intéressant à la fois du malaise mais aussi de cette approche esthétique. Le chant est un des piliers nécessaire à Draakanaon.
Le son est particulier. Si c'est du raw black, il n'en demeure pas moins très riche et de bonne qualité, de façon étonnante. Il y a un travail intéressant sur le mixe et les arrangements nécessaires à la densité de l'œuvre sont nettement audible. On est loin du son brouillon et exécrable. Très loin. Car il y a beaucoup de détails, qui eux aussi se découvrent au fil des écoutes, d'un projet atypique.

Draakanaon et ce 'Le diable en personne' est une excellente découverte, de ce que j'aime découvrir, venant du fin fond de l'underground et qui recèle de qualités indéniables, au-delà des étiquettes des styles. On a ici une œuvre ambitieuse à l'esthétisme marquée, avec une approche très singulière qui se démarque d'autres productions. Un concept puissant et efficace, sincère et qui ouvre une porte sur une vision intéressante, à contre pied des habitudes. Avis aux fans de black: découvrez ce projet clairement mûri! Et je le rappelle, c'est SM qui gère tout. Respect!

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