MARGOTH 5
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Gehenna
Twisted Mist
Music Records
4 décembre 2024 à 16:54:57
Dématérialisé
2024
11 titres, 1 heure 04'36''
Une petite vidéo:
Twisted Mist est un duo de Reims, déjà passer par ici avec les Albums 'Orbios', et 'Lacerare', pratiquant un folk metal moderne (pour simplifier énormément, ceux qui me suivent savent de quoi je parle). Le groupe explore des facettes, plus sombre sur 'Lacerare'. Et dans la logique de leur développement, le groupe n'a pas trouvé mieux que de mettre en musique l'œuvre de Dante Alighieri 'la Divine comédie'. Je vous laisse le soin de lire des infos concernant cette œuvre, ce serait trop long a expliquer ici (https://fr.wikipedia.org/wiki/Divine_Com%C3%A9die).
Le duo revient donc avec un album posant à la fois l'idée d'un concept (la Divine comédie), une adaptation et une vision, dans la continuité de ce le duo explore. Je ne vais pas tergiverser: c'est clairement un morceau que les gars nous offre, très dense, très abouti et surtout, relevant le défi de mettre en musique quelque chose qui est à la fois éloigné de notre musique (dans le contexte de l'époque) mais en même temps, partage des éléments en commun avec la musique de Twisted Mist, dans sa structure et son écriture. Les passerelles musicales avec l'œuvre sont clairement là. Ca, c'est la partie simple. Parce que maintenant, ça va être un peu plus compliqué.
Twisted Mist suit la trame de l'œuvre, en explorant les différents cercles, eux-mêmes liés à un domaine précis. Et c'est là que commence le savoir faire du duo, avec une mise en scène musicale, mettant en place des atmosphères pouvant variées suivant les titres et ce à quoi ils sont liés.
Gehenna est un titre en deux parties qui nous plonge directement dans l'atmosphère que va développer l'album, avec une mise en place dans l'ambiance de l'époque, reposant sur une approche prenant des codes au classique que le groupe injecte dans son approche folk. Les deux parties cultivent des points communs mais la seconde est aussi le biais qui permet d'entrer dans le cœur de la musique, en amenant la dominante metal, avec cette approche teinté black (mais aussi du death dans certains éléments qui apparaissent au sein de l'album). Ce titre en deux parties prend aussi le partie de poser un rythme plutôt lent, jouant sur l'aspect séculaire de la Divine Comédie. Le chant apparait sur la seconde partie, abordant sur les titres le sujet des cercles de l'œuvre. Oui, c'est dense et un peu compliqué mais ça se gère bien!
Twisted Mist va ainsi poser, sur chaque titre, une trame par l'atmosphère qui découle du premier titre mais aussi de ce que le titre en cours va développer, avec des aspects très différents. Le duo n'hésite pas à amener des éléments qui polarisent la musique, apportant quelque chose de parfois plus rugueux, plus malsain, ouvrant des contrastes différents sur la musique mais aussi la manière de structurer les titres. Il s'inspirent des titres pour offrir des titres pouvant être puissants, évoquant une forme de violence sans pourtant l'être, gardant cette idée de base du rythme lent.
La puissance va venir des riffs des guitares et de la basse, qui s'appuient aussi avec des éléments puisant dans le spectre de la musique classique, auxquels s'ajoutent les instruments folks que le duo utilise. Cela amène une grande diversité musicale mais ouvre surtout des possibilités que le duo explore, tout en gardant en tête l'idée de base. Mais cela vient aussi de l'œuvre elle-même qui apporte la puissance évocatrice de Dante traversant l'enfer. C'est avec des mécaniques du poème que Twisted Mist va associer son approche et se permettre d'offrir des moments à la fois sublime, poétique et en même temps, sombre et très ancrés dans leur approche folk, jouant sur la complexité des jeux des styles musicaux mais aussi du lien entre le poème et l'approche de la musique.
Cela engendre des parties différentes, aussi bien dans l'album que dans les titres, jouant parfois sur un flou entretenu entre poème et musique ('Cerbère' recèle de moments puisant dans la poésie), dont le groupe va polariser des aspects volontairement et en mettre d'autres en contradictions ou dans une continuité de style. L'aspect black death va apparaitre alors à certains moments, gardant un rythme lent, parfois plus lourd, générant une atmosphère plus poisseuse et malsaine, que l'on associe vraiment à l'enfer.
Le point fort est cette maitrise des riffs et des structures propres à Twisted Mist, qui apportent de la matière et des strates à la musique, à la manière du poème qui est la source de l'album. Il y a un contraste marqué entre ces riffs puissants, abrasif et le chant plus léger, lié à l'aspect poétique, servant parfois à pouvoir déclamer le texte et ouvrant des passerelles entre les titres et la conception que le groupe fait de la Divine Comédie.
Il y a clairement quelque chose de sombre qui traverse l'album, du fait du sujet et de fulgurances évocatrices, que l'on retrouve dans les aspects les plus marquants de la musique. Cela joue sur une forme de violence peu usuelle ayant la faculté d'être marquante et immersive. Et c'est là que le duo réussi un autre pari (en plus de mettre en musique une telle œuvre): Il arrive a installer une immersion globale dans l'univers que dépeint Dante, tout en offrant un recul nécessaire pour l'appréhender. Le duo ne laisse rien au hasard, montrant qu'il a clairement réfléchi l'approche et la manière de la mettre en scène, musicalement et narrativement. Car la narration est là, avec cet angle lié au poème.
A la manière de l'œuvre de Dante, l'album révèle une densité incroyable. Comme le dit la promo, c'est dantesque. Et c'est le moins que l'on puisse dire. Car au-delà de la complexité de mettre en musique une telle œuvre, il y a son exécution. Et là, le savoir-faire de Twisted Mist explose: des titres vont aller vers un essentiel plutôt direct quand d'autres vont prendre le temps de dépeindre des atmosphères et des tableaux plus puissants, jouant avec l'imaginaire collectif lié à l'œuvre et sa manière de projeter sa vision. Cela offre quelques titres fleuves où la noirceur côtoie le sublime, la poésie se liant au folk et à ce black death qui joue a aller, au besoin en avant ou en retrait, jouant sur une ambiance particulière ou au contraire, un besoin d'être plus massif. Et ainsi, trois titres vont dépasser les huit minutes, sans que l'ennui ne se pointe, bien au contraire. Le groupe jouant sur la puissance de l'évocation et de la profondeur de l'œuvre de base, cela lui permet aussi de véhiculer un ressenti émotionnel, dans la lignée de ses albums précédents mais avec une porté et un axe différent. Et d'amener ainsi une cohérence aussi bien dans l'album que sur la globalité de leur musique, incluant les autres albums.
Et c'est assez logique car 'Gehenna' entretient forcément des liens avec les albums, que ce soit dans l'approche musicale, la manière de gérer celle-ci mais aussi avec la temporalité. Temporalité avec la Divine Comédie et les albums précédents, ancré dans le moyen-âge (avec une période différente mais la même atmosphère et le même imaginaire collectif là aussi) mais aussi dans la structure de l'album et des titres, apportant une réponse au rythme particulier que le duo a choisi sur cet album. La temporalité se fait par la musique, avec le rythme évoqué mais aussi des éléments structurels et l'utilisation des instruments traditionnels. Mais cela va aussi plus loin, de par la transposition de l'œuvre à notre époque et à nos codes et aussi par le lien qui se fait entre les albums mais aussi le voyage de Dante, mis en musique et qui explique ce rythme, par le pas du narrateur.
Les différences de tons, les changements structurels et autres éléments servent à marquer des changements de périodes, de lieux ou à passer quelque chose qui est plus une sorte de peinture musicale, pour faire le lien entre l'œuvre, la musique et les représentations de celle-ci dans l'art. Il y a énormément d'évocations et de rappels dans l'album tout en offrant une vision moderne et ancré dans l'œuvre de Twisted Mist. C'est une manière de nous emmener dans l'œuvre mais aussi de lui donner vie, de la rendre palpable. Et ce, en jouant avec des mécaniques qui font le lien avec le tout.
On retrouve ce chant particulier du groupe mais qui va plus loin, en jouant sur la polarité entre le chant écorché et le chant clair, qui prend des accents poétiques, servant de lien entre la musique et le littéraire, étant nécessaire à la narration. On trouve une évolution sur certains aspects, que l'œuvre de base impose surement et c'est clairement une réussite, participant à notre immersion. Une voix féminine apparait quelque fois, apportant cette idée de désincarnation du personnage (et qui se recoupe avec certains éléments musicaux plus spécifiques).
Le son est excellent. Toujours caractéristique au duo, il va plus loin dans la polarisation, entre l'aspect brut et rêche des guitares et instruments modernes, de l'approche folk teinté black / black death et celle appuyant l'approche de l'époque, du poème mais aussi des liens avec le classique. Le mélange des styles est très réussi, nous plongeant dans l'univers directement. Les instruments traditionnels jouent vraiment un rôle, en plus des compositions complexes et les instruments plus usuels (guitares / basses / batterie) apporte à la fois un contraste, une structuration et ce côté sombre nécessaire et indissociable, permettant de mettre en lumière des fulgurances lumineuses, liées au poème qui sert de base. Les vocaux jouent aussi bien sur la première ligne que plus en retrait des instruments, jouant sur des ambiances réfléchies et pertinentes.
Twisted Mist livre un album magistrale et dantesque, clairement et sans jeu de mot pourri. Le duo nous immerge dans un univers puissant, ouvrant une vision sur une œuvre connue collant avec leur approche. Il est certain que cet album va atterrir dans ma collection, au côté des autres. Un indispensable!