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De Profondis

Les enfants de Dagon

Sliptrick Records

1 mai 2023 à 15:31:02

Digipack

2022

10 titres. Durée: 49'06''

Une petite vidéo:

Les enfants de Dagon est un septuor venant de Lyon, formé en 2019 et œuvrant à la fois dans un concept puissant et dans un death black nappé de doom. Le groupe nous invite à la découverte du culte de Dagon, une déité qui est l'un des grands Anciens, issus de la mythologie engendrée par Lovecraft. Le groupe se focalise ici sur Pierre Duval, un prêtre catholique franco-américain et l'histoire se déroule en 1920. Il s'installe à Innsmouth, pour venir en aide à la communauté catholique locale. Et là, il des choses très étranges qui se déroulent dans les lieux, le menant jusqu'à la découverte du culte de l'ordre ésotérique de Dagon. Et il souhaite en savoir plus... Le groupe, en parallèle de l'album prépare aussi un roman en lien direct, pour cette année. Voilà pour une bien belle introduction.
Le groupe fait ainsi référence au film Dagon de Stuart Gordon. Pour les personnes innocentes qui ne l'auraient pas vu, le film nous plonge dans un cauchemar où un couple avec les beaux parents ont une avarie avec leur bateau, qui les oblige à accoster comme ils le peuvent dans une cité portuaire décrépie et vont aller crescendo dans l'horreur en même temps que le jeune époux va découvrir sa destinée. Ce film a une ambiance singulière, très sombre, sinistre, allant au-delà de la notion de l'horreur (Stuart Gordon étant un maitre de l'horreur, ni plus ni moins). Et le groupe démarre donc son univers de cette base, qu'il va explorer différemment du coup (la mythologie de Lovecraft offrant de larges possibilités).

Il y a déjà des groupes qui se sont inspirés du mythe de Cthulhu, autour duquel gravite nombre de déité impie, au cœur d'un univers dense, terrifiant et surtout dégageant un côté blasphématoire, ésotérique et très malsain. Mais Les enfants de Dagon est certainement le groupe qui pousse le concept au maximum, offrant quelque chose de très ambitieux. Et de rapidement nous plonger à la fois dans l'ambiance et un univers terrifiant, en jouant sur plusieurs éléments. Il y a peu de chance que vous en sortiez indemnes.

'The shadow over Innsmouth' ouvre les hostilités. Et pose des bases qui s'éloignent directement des sentiers battus. Le groupe introduit certains éléments qui sont une partie de la clé de voute, passant notamment par les chants (bluffant) sur lesquels je m'étalerai plus loin. Quoi qu'il en soit, il faut comprendre que le groupe va vous plonger dans un cauchemar lancinant où les atmosphères et les ambiances sont très puissantes et très prenantes. Le groupe mêle death, black et doom mais en allant là encore un peu à contrecourant. Car où la majorité des groupes vont préférer une rapidité et amener des breaks ou quelques lourdeurs, Les enfants de Dagon choisit clairement le camp de la lourdeur poisseuse, du rythme martial et du travail sur les atmosphères et des structures moins conventionnelles. On est clairement dans un death black où le doom apporte ce côté poisseux et vient pervertir la nature malsaine du style, amenant plus loin des mécanismes qui se rapprochent de l'horrifique et nous font regarder vers le film Dagon, justement pour cette ambiance. Mais si le film est l'une des sources, le groupe trace rapidement son chemin dans son univers.

Le groupe apporte des rythmiques assez spécifiques et va jouer sur les codes des styles. Ici, les fulgurances sont rares. On est plus sur quelque chose de massif, malsain, puisant dans des rapports à l'ésotérisme mais aussi clairement le blasphème et la dénégation de dieu. Le groupe amène ainsi des ruptures de styles et va glisser progressivement des choses plus dérangeantes dans les rythmes, comme un aspect rituel et martial, apportant un côté glaçant aux atmosphères en même temps qu'un contraste avec la tonalité globale.
On retrouve une marque bien spécifique, qui est cette lourdeur venant du doom. Et c'est plus un doom occulte, amenant plus une approche funèbre, au sein des titres qui, au fur et à mesure, vont éloigner tout espoir d'en réchapper. Le groupe glisse vraiment des notions horrifiques au sein de la puissance écrasante de la musique. Cette lenteur et cette lourdeur renvoie forcément à l'aspect dantesque de Dagon mais aussi à quelque chose de plus pernicieux, compte tenu du personnage qui est incarné dans l'histoire (le prêtre). Car on glisse aussi vers un déni de foi, plaçant d'emblée un blasphème au sein de l'œuvre (le doute, les éléments évoquant la messe ou un discours religieux). Mais aussi les moments où du latin se glisse, amenant des éléments de messe traditionnelle qui dégage un côté malsain car on sent que c'est perverti. Cela fait aussi un lien avec l'altération de la réalité (celle du prêtre, qui s'effrite face à celle qui est une réalité terrifiante et blasphématoire.
Chaque titre nous attire un peu plus bas dans les tréfonds du culte interdit, en nous rapprochant de Dagon et du cauchemar vivant, introduisant la notion, littéralement, de descente en enfer. Et cela passe par des fulgurances soudaines (et des éléments de chants) mais aussi des éléments qui semblent exploser le quatrième mur, puisque certains passages sont en français, nous impliquant soudainement dans l'univers qui se déploie devant nous.
Il y a un très gros travail sur les rythmiques et qui engendre des structures particulières, à l'impact et la la puissance glissant à la lisière d'une approche totalement débridée. Mais le groupe ne succombe pourtant pas à la facilité et va s'astreindre à garder cette ligne malsaine, à la limite de quelque chose de plus affolant. Et amène ainsi des contrastes, bien qu'ici le terme n'ait pas vraiment le sens plus habituel, du fait des structures et des rythmiques. Le groupe crée une notion différente à la notion de contraste, jouant en même temps sur les rythmes, les éléments musicaux (dont des altérations, des dissonances ou des sons plus étouffés). Cela ajoute une approche à la fois anxiogène et une certaine densité qui vient renforcer la noirceur.

Toutes les structures reposent sur des atmosphères très riches, crédibles. Certaines vont amener des éléments évoquant une sorte d'arc narratif qui structure l'album. Et c'est quelque chose de très profond qui est là. Car si la base black death est bien là, il y a les notions évoquées avant qui viennent apporter la cohérence et la vie à cet univers terrifiant. Et nous prendre pour nous y emmener, glissant des moments hallucinants (par l'arc narratif, certains riffs très particulier, le clavier...).
Les atmosphères sont très prenantes, de part l'usage d'un clavier et des ambiances religieuses ou avec un coté messianique mais qui forcément se mêle à l'horreur, omniprésente dans l'album. On retrouve des éléments qui viennent plus de la musique classique, qui sont associés à la base de l'album, apportant une teinte particulière. Et cela renforce l'aspect sombre et sinistre qui peut s'exhaler violemment de l'album mais toujours pas par la vélocité mais toujours cette lourdeur poisseuse, lancinante.
Mais le groupe va bien plus loin que ça. Et chaque écoute apporte son lot de nouveau détail, que ce soit un décorum auditif ou ces arc narratifs qui sont appuyés par des structures, des riffs ou la justesse du clavier (aux multiples approches).
Je ne peux ne pas évoquer le côté onirique qui apparait dans les titres, se dévoilant à travers le chant féminin et l'approche musicale. Car bien qu'ayant une approche et une atmosphère anxiogène, occulte (parfois), il se dégage un aspect onirique, certes malsain et peut-être même perverti. Mais il est indéniablement présent, faisant un lien entre les aspects religieux, l'ambiance, les atmosphères et la trame de l'histoire. Ce n'est pas un accessoire, c'est clairement un élément qui nous enfonce plus loin dans l'univers dépeint par le groupe. Et le groupe joue avec ce côté onirique puisqu'il lui insuffle une aura à la terrifiante beauté en même temps qu'une incarnation de la transition du personnage de la part lumineuse à la face la plus obscure. Et ce côté onirique passe aussi bien par le clavier ou des ajouts d'instruments classiques (violoncelles, violons) que part ce qui semble être un thérémine parfois.

Et pourtant, parfois, il y a des fulgurances. Associées systématiquement à deux types de chants, c'est à ce moment qu'une explosion soudaine de violence dévastatrice t'assène un coup de batte à l'occiput. C'est soudain, c'est vicieux et, bien au contraire que l'on pourrait craindre de casser l'ambiance créée, va amplifier le côté malsain, la noirceur et une approche gothique, voire baroque (qui est aussi un des liens à la musique classique). Il y a de la subtilité, de la finesse, voir des éléments qui vont quitter les sentiers dessinés par le groupe, à l'image de 'Beyond' qui s'éloigne du style de base pour vraiment marquer l'approche classique baroque. Un titre très différent et qui pourtant est en total logique avec le reste. Et si je parle de tout ça, c'est pour revenir sur les fulgurances qui impliquent deux choses, clairement: l'horreur indicible du culte de Dagon et la folie. Car la folie a sa place dans l'album, ayant une incarnation de la perte d'esprit, de la cassure de celui-ci. Et cette folie s'exprime par des accès furieux, qui sont ces fulgurances et qui peuvent être aussi liées à l'incarnation de Dagon.
La folie n'est pourtant pas vraiment celle à laquelle on se réfère. Elle a plusieurs visages, comme par exemple la folie de croire en un autre dieu que Dagon. Mais il y a aussi le renversement des valeurs (lié à la fois à la progression des titres, formant une sorte de strates qui s'enfoncent dans l'indicible et accentue la folie) mais aussi qui appuie des choses plus profondes et amènent des éléments qui font plus références à la philosophie ou la psyché humaine. Et cela passe par les ambiances ou les sous textes qui jalonnent l'album (et qui reprennent l'approche qu'avait Lovecraft (pour rappel, celui-ci était matérialiste, asocial, avec un dégoût profond de l'humain) qui a ponctué son œuvre de détails, avec ce côté glaçant).
Le groupe pose ainsi la trame d'un univers qui fait un lien avec l'œuvre de Lovecraft mais pose déjà des bases qui lui sont propre, à l'efficacité indéniable.

Les chants sont aussi extrêmement intéressants. On retrouve deux chants, un masculin et un féminin. On va commencer par le chant féminin de Céline. Elle apporte un chant complètement bluffant, puisant dans un chant lyrique et qui ouvre ainsi la voie à cette ambiance baroque. Elle développe ce chant de manière impressionnante et celui-ci apporte vraiment quelque chose à part, au-delà des styles musicaux. Dès le premier titre, il oscille entre lyrisme et ce curieux onirisme que j'ai évoqué plus haut. Il n'est pas là pour remplir ou faire accessoire. Céline amène avec ce chant quelque chose de plus abstrait, qui sert d'ossature et d'élément déclencheur parfois, appuyant l'ambiance baroque qui explose parfois. Il rejoint aussi l'aspect folie, dans certains passages où se brouillent les limites des styles, de manière maitrisée. Il est une des clé de voute de l'album et vient amener un contraste avec le chant masculin de Laurent.
Laurent amène un chant varié, sur une base gutturale. Mais avec un spectre impressionnant, pouvant aller vers un chant ultra guttural, voire proche de gargouillis, servant à l'approche de la folie mais aussi la personnification de Dagon. Le spectre du chant va aussi amener des passages en chant clair, parfois à la lisière des chants, impliquant le prêtre qui communique ou prie. Mais a folie habite ce chant, qui est juste là aussi impressionnant de par son ouverture et ce qu'il peut engendrer. Et où cela frise la démence, c'est lorsque les deux chants se rencontrent, à la fois complémentaire et opposé, posant un rythme dans les chants qui est extrêmement efficace et accrocheur.

Le son est excellent. Le côté massif venant du doom apporte son côté poisseux à la noirceur de death black véhiculé. On trouve une légère lourdeur qui appuie la noirceur du concept mais aussi la notion de blasphème, d'ésotérisme. Le groupe contrôle vraiment l'aspect et les codes des styles, laissant la place à leur approche pour se développer et amener sa nature à pleinement s'exprimer. Les instruments sont tous audibles et la basse apporte clairement un son lourd, qui nous enfonce dans les strates que le groupe crée à chaque titre. Le clavier amène les atmosphères et certains gimmicks bien spécifiques qui participent à l'immersion dans le cauchemar que nous déploie le groupe. Et ce qui est intéressant, c'est que les sonorités vont souvent de paire avec le chant masculin, jouant sur le tempo ou bien sur la limite avec les infrabasses parfois. Les arrangements (violon et autre) amènent ce côté baroque, très occulte et donne une densité, en plus d'offrir des détails très soignés dans le son (des éléments immersifs comme le vent, les chants liturgiques occultes...). On est vraiment emporté dans l'album, sans que l'on lâche un seul instant notre attention. Le groupe pose une identité propre avec le son et le placement des vocaux, notamment avec le spectre de celui de Laurent.

Et une fois n'est pas coutume, je vais parler des visuels. Car le disque en lui même est sublime, au niveau de l'artwork, très soigné et réfléchi. Il est la porte qui s'ouvre sur le monde de Dagon (même le dessin sur le cd est plus proche d'un picture disc. Le groupe travaille l'aspect visuel, qui contribue à la fois à son identité et à l'immersion du concept. Le groupe m'a donner des visuels sublimes, clairement et on retrouve aussi cet esthétisme soigné, appuyant l'indicible et l'horreur, en offrant un visuel à chaque titre. Mais aussi l'ambiance et les atmosphères que l'album développe. Et qui permet de glisser subtilement les prémices du roman à venir.
Mais les visuels posent aussi des bases ésotériques et des symboles qui ponctuent l'œuvre, appuyant ce que j'évoquais de la psyché ou de la philosophie. Les visuels sont à la fois très évocateurs, immersifs et pourtant dégagent une part de mystère. Sublime.

Les enfants de Dagon délivre un premier album ambitieux et monstrueux, tout simplement. Une claque magistrale, que vous inflige Dagon (oui, ça pique du coup). C'est très immersif, car riche de détails mais pose aussi dans l'album l'implication de l'auditeur. Et va à contre courant en posant les inversions dans les rythmes (lourdeur dominantes), laissant s'exhaler la folie qui est au cœur de l'album. C'est clairement un album indispensable, avec un concept à découvrir, très riche. N'hésitez pas une seconde de plus.

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