Absence of colors est un duo de Chambéry proposant quelque chose qui change franchement de ce que l'on entend habituellement. Sur une base batterie / guitare, le duo propose un concept à la fois musical et d'art numérique, qui se vit en live. Le concept jouant sur l'absence de couleurs (et l'idéal le noir et blanc). Le dossier de présentation apporte beaucoup d'informations sur le concept et l'approche et ce serait un pavé ici (intéressant mais qui noierait la chronique). Il revendique des influences comme Mogwai, Isis ou Tool. Que je connais de nom (sauf Tool où j'ai déjà posé une oreille).

L'Ep nous emmène dans un voyage aux confins du post-rock, post-metal, stoner et progressif, avec une approche presque instrumentale, les rares paroles étant des monologues à l'esthétique sonore de radiophonie que je mettrais plus dans les années 50/60.
Juste 4 titres. On peut se dire que c'est peu mais il n'en est rien. Avec des durées variant de 6 minutes à presque 9'30'', le duo nous emmène dans un voyage qui pourrait être initiatique. On peut oublier nos repères de suite (pose les de côté pour les reprendre après) et se laisser porter.
Les titres sont effectivement longs. Mais paradoxalement, on ne voit pas nécessairement le temps passé et on est étonner de voir que l'on est à la fin du second titre lorsque l'on regarde une première fois où l'on en est du premier titre. Le duo offrant une continuité des titres, semblant n'offrir finalement qu'un seul titre massif, en plusieurs parties. Ce n'est pas sans m'évoquer l'approche d'Insomnium avec 'Winter's gate'. Mais musicalement très différent.

Le duo nous emmène ainsi dans quelque chose d'immersif, d'étonnamment attractif, reposant sur un travail de sonorités, de structures et d'une approche singulière, travaillant sur ce concept d'absence de lumière. Pas évident à saisir sur disque (car on a pas le côté visuel) mais vu comment les deux gars se débrouillent avec la volonté de nous immerger dans leur univers, on est happé par un enveloppement émotionnel, très aérien, se basant sur des rythmes lents, parfois lourds, avec une puissance inattendue qui intervient dans les titres. Mais pas comme on s'y attendrait. Le duo invente presque une autre façon d'imposer sa puissance, à travers des sonorités, des montées de sons, de gammes ou encore des structures
complexes (ce qui n'est pas s'en me rappeler des groupes comme Dragunov, dans l'esprit). Si le duo se vit en live, il faut bien avouer que le disque s'avère une excellente invitation.

Si on peut avoir l'impression d'un unique titre en 4 parties, chaque titre recèle quand même une atmosphère propre, drainant pourtant une ambiance qui se retrouve sur l'intégralité de l'ep. C'est une singulière expérience mais qui me fait clairement voyager, vers des contrées loin d'être ennuyeuses. Car le duo apporte un travail marqué sur le son, les constructions et même la notion même de la nature du sons ou des tonalités. Il y a beaucoup de subtilités, de finesse et pourtant, malgré un rythme posé, cela ne l'empêche pas d'offrir des facettes différentes, conservant pourtant une cohérence de bout en bout. Le travail du son est primordial dans le duo, offrant une richesse incroyable, du fait aussi bien d'effets très variés (le pedalboard du guitariste est un bordel sans nom vu de l'extérieur mais chaque élément est un des points de la musique). C'est vraiment quelque chose d'à part et le duo focalise vraiment la musique sur l'aspect guitare et batterie.
Mais l'un peut exister en complément de l'autre ou même être une entité différente. Les parties batteries sont extrêmement variées, jouant sur les structures mais aussi les sonorités, apportant l'essence des styles qui traversent leur musique en une focalisation faite pour nous happer là où il le veut. C'est parfois aussi plus abstrait, jouant avec les repères que le duo pose mais jouant aussi avec la nature même de la musique, semblant parfois sortir des sphères définies et glisser vers des choses qui vont titiller des évocations de science fiction ou la synthwave ('Cycle' propose ces aspects de façon nette mais sans pour autant abandonner l'essence même de la musique déployé par le duo).

C'est à la fois immersif et en même temps, quelque chose de plus onirique s'exhale des titres, avec une volonté de nous emmener en dehors de notre univers, d'aller au-delà de la lumière, de sa nature d'être. La pleine conscience de leur musique demande clairement plusieurs écoutes attentives, révélant à chaque fois de nouveaux éléments, apportant une pièce au puzzle que le duo reconstitue en live.
Parler du son en temps que tel pour se groupe est assez absurde puisque le son est ici une entité à part, se modulant, se mouvant dans des circonvolutions délicates. Il y a vraiment l'aspect art numérique qui s'imprime dans le musique et l'infléchie, ainsi que le son ou les tonalités (extrêmement riches), glissant peut-être une réflexion plus profonde, qui va au-delà de la musique et du concept. C'est assez inédit pour le coup.
Si Absence of colors pose un concept sur le noir et blanc, c'est que sa musique a aspiré les couleurs pour les mettre sous forme sonore. Et poser une réflexion sur notre perception visuelle? Pourquoi pas. La réponse se trouvant forcément en live. Mais il s'agit clairement d'un voyage presque initiatique, aux confins de repères musicaux. Une expérimentation singulière très accrocheuse.

Ce n'est peut-être pas facile d'approche. Il faut accepter de mettre de côté ses repères mais l'effort vaut le résultat et le duo nous emmène vers un panthéon personnel intéressant, où les attendent d'autres groupes avec cette approche singulière sous forme de duo (Dragunov, Kugelblitz, Twisted mist, Evil drop...). Ca donne vraiment envie de voir le duo en live, avec le concept complet!