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Cacochyme rising

Glabre

Urgence Disk Records, Araki Records et Ramblin' Bastringue

24 mai 2023 à 14:11:03

Dématérialisé

2023

6 titres pour 35'43''

Une petite vidéo:

Glabre est le projet d'Alex Jacob, du groupe The skeleton band (si vous connaissez, faites moi signe) qui livre ici son deuxième effort. Alors, c'est ce que l'on appelle un album difficile à expliquer. Plus encore de par l'écoute forcé sur une plateforme musicale.

C'est très étrange et ce dès le début, de par la construction et l'approche. Alex nous emmène d'emblée directement aux confins de différents styles, à la croisée du rock, du post rock, du post punk et du doom. Mais au lieu se structurer l'ensemble en jouant avec les codes, Alex va tout simplement en faire un hybride où la lenteur et un côté sombre vont dominer. Quelque part entre quelque chose de synthétique, par l'approche des synthés et plus organique par la guitare et la batterie acoustique, il se délivre quelque chose de très viscéral, en plus de l'aspect un peu étrange.

Et il y a quelque chose d'un peu singulier, qui est un lien qui me renvoie vers Euphrates Ride, de part le traitement de fond que pose Alex. Si la forme est différente, le fond et certains biais sont très proches, offrant deux approches singulières pour quelque chose qui se rapproche d'une souffrance intime, s'exprimant juste différemment.

C'est en effet quelque chose de très personnel, qui sort des tripes et va nous emmener sur des chemins escarpés, se concentrant sur les émotions, dont une colère sourde, latente, pernicieuse, qui se déploie, paradoxalement, tout en finesse. Rien de frontal dans l'approche, qui offre une retenue étonnante, alors que faire exploser sa rage aurait été plus simple. Mais très probablement contre productif.
Car ici, Alex laisse s'exprimer ce qu'il semble être, et de fait, laisse un humain exprimer son humanité. Et c'est là qu'interviennent les éléments qui caractérisent la musique offerte.

C'est lent, reposant sur des rythmiques volontairement pesantes, prenant les bases du doom et jouant sur cet aspect, avec des passages parfois plus martiaux, qui vont imprimer une soudaine lourdeur. Mais dans une lignée doom rock et offrir des plans intéressants dans cet aspect car rejoignant des choses plus étranges, moins cataloguables, à l'image de la musique globale. Et notamment ce jointure avec la souffrance et la douleur. Douleur non pas physique mais psychologique et émotionnelle. Cela engendre des étirements de notes ou de structures, qui vont marquer la douleur, appuyer cette ambiance sombre, cette souffrance humaine. On est très loin de la joie de vivre parfois mais il y a toujours quelque chose d'éthéré qui se tient quelque part, rejoignant une forme délétère d'onirisme.
Cela va se rencontrer dans des mélodies, notamment par la guitare, qui livre des moments sublimes, où le chant va jusqu'à écorcher l'âme. Ou dans le traitement de répétitions de boucles de patterns de la batterie, qui s'associe parfois avec les machines, glissant imperceptiblement des éléments discrets mais qui, mis bout à bout et en prenant du recul, marquent cet onirisme. Et c'est parfois très puissant, jouant sur le contraste avec la lenteur globale.

La guitare va jouer avec les machines présentes, qui apportent une tonalité très marquante du post punk, joignant une atmosphère semblant venir des années 80, touchant à la fois à cette empreinte et celle de la cold wave, engendrant quelque chose d'étrange dont même Depeche Mode n'oserait pas revendiquer la paternité. Car Alex va bien plus loin et va intégrer des choses qui appartiennent à l'imaginaire collectif et l'assimiler pour en restituer une chose plus personnelle.
A l'image de 'Peu importe les brâmes' où l'on retrouve quelque chose qui va évoquer à la fois la musique des westerns mais aussi un côté stoner diffus qui va marquer plus fortement l'engeance doom qui habite l'œuvre. Alex va injecter des choses qui se recoupent au travers des diverses rencontres stylistiques et créer un univers vraiment singulier, où les repères sont diffus. Et cela n'est pas dû au hasard.
Alex impose quelque chose d'immersif, nous embarquant dans une sorte d'exutoire introspectif, où les codes musicaux qu'il refaçonne à sa guise servent de prélats à une forme presque sacralisée d'une vision très sombre, noyant des abimes de profondeur, qui vont n'être qu'un vaste système d'entretoises où tout se rejoint quelque part.
Les ambiances qui s'exhalent sont parfois fulgurantes. Mais pas de celles qui amènent de la violence ou un contraste avec une lourdeur. Ici les fulgurances sont émotionnelles et se lient avec les structures paraissant simples qui mais sont en réalité, à l'image de la noirceur de l'œuvre, plutôt alambiquées. Mais le rythme imposé rend cette vision plus confuse, en toute logique. Et crée une cohérence avec le côté humain qui se dévoile, à travers la souffrance et la colère.

Et la colère va venir de par le chant principalement. Si la musique peut influer un peu la colère, par des leitmotivs ici et là ou par des amorces plus brutes, elle n'est rien comparé au chant. La voix d'Alex offre un panel large, de l'étrange voix aigüe qu'il peut envoyer dans un chant plus céleste à celle nettement plus écorchée et plus abîmée. Son chant évolue constamment, avec des intonations qui parfois m'évoque un peu Mickey 3D ou des groupes plus proches de la cold wave. Et le choix de chanter en français apporte une dimension nettement plus immersive, nous emmenant avec lui dans sa souffrance, une lueur d'espoir mais aussi une certaine folie.
Car je ne voyais pas comment amener cet aspect de folie. Pas une folie d'un esprit déclinant mais une folie d'une usure émotionnelle, d'une souffrance. Et celle-ci inonde la musique, clef de la souffrance et de la noirceur qui l'habite. Elle se ressent à travers des sonorités, des éléments rythmiques étranges et de ce rythme lent, sans être lourd. Si elle n'est pas vraiment quantifiable ou imposant sa présence de façon claire, elle est pourtant là, discrète et elle est aussi une partie de l'exutoire, en même temps que la quintessence de l'introspection qui se livre à nous.
Le son est excellent (du moins par la plateforme d'écoute). Les subtilités sont bien présentes, avec un équilibre et un jeu entre la musique, les sonorités et le chant, aux multiples facettes. Il y a un travail sur les arrangements de fait, qui participe aussi à l'aspect émotionnel que la musique met en avant, avec une charge parfois impressionnante.

Glabre est une découverte pour moi, d'abord déstabilisante mais qui prend sens et se laisse explorer au fur et à mesure des écoutes, nous ouvrant les portes sur un univers introspectif où la subtilité est très présente, jouant avec les limites des styles. C'est peut être sombre mais c'est très humain. Très intéressant.

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